Christopher Fomonyoh, directeur pour l’Afrique du NDI:
“L’ONEL ne peut organiser des élections crédibles ”

Le Messager, A Weekly Electronic Publication of the GMM Group,
17 July, 2001

Entretien mené à Washington par
Pius N. Njawe

Les Camerounais se souviennent certainement encore du NDI, cet organisme américain qui, en 1992, avait dressé un rapport d'observation accablant sur l'élection présidentielle que ses observateurs avaient suivie de bout en bout. Le gouvernement Biya, par la voix d'un certain Augustin Kontchou Kouomegni, avait alors accusé, le National Democratic Institute et Madame Frances Cook, à l'époque Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, de rouler pour le candidat de l'opposition , John Fru Ndi.
Cette institution qui s'est fixé pour mission de renforcer et de promouvoir la démocratie à travers le monde, vient de porter à sa tête l'ancienne Secrétaire d'Etat américain Madeleine K. Albright qui en devient "Chairman". Mais la promotion qui honore le Cameroun et les Camerounais est celle de leur compatriote Christopher Fomonyoh, qui devient Directeur pour la région Afrique du NDI. Le Messager l'a rencontré dans son bureau à Washington, et fait avec lui le tour d'horizon de l'état de la démocratie en Afrique et au Cameroun.

Le Messager: Christopher Fomonyoh, vous avez été promu directeur -régional pour l'Afrique au sein du National Democratic Institute. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs du Messager de quoi il s'agit exactement ?
Christopher Fomonyoh: Effectivement, j'ai été promu au mois de mai dernier au poste de directeur régional pour toute l'Afrique au sein du NDI; c'est tout un honneur que j'attribue à la jeunesse africaine montante, car quelque part c'est une confirmation que les Africains sont aussi capables d'apporter une contribution à la démocratisation dans leur continent, et qu'une fois dans un contexte bien situé, ils peuvent eux - mêmes bâtir leur propre démocratie.


L. M. : Qu'est-ce que cette promotion implique désormais par rapport à vos responsabilités au sein du NDI?
C.F.: Avant, j'étais responsable d'une partie du continent, mais de plus en plus on s'est rendu compte que les Africains eux - mêmes veulent détruire les barrières artificielles érigées entre l'Afrique anglophone, francophone et lusophone. De plus, on a estimé qu'il faudrait de Washington avoir une vue globale du processus de démocratisation en Afrique. Ma nouvelle fonction me permet ainsi de porter un regard beaucoup plus critique sur l'ensemble du continent, et de conseiller l'Institut d'une manière plus générale. Evidemment, cela implique des charges supplémentaires ; mais pour avoir fait ce travail depuis dix ans maintenant, je devrais être à la hauteur de mes nouvelles responsabilités.


L.M.: Quels sont les buts réels poursuivis par le NDI à travers le monde ?
C.F.: Le NDI a été crée en 1983 comme une organisation non gouvernementale à but non lucratif, avec pour objet principal de promouvoir et de soutenir la démocratie à travers le monde. Nous avons des activités dans tous les continents, à l'exception de l'Amérique du Nord et de l'Europe Occidentale. Nous sommes présents en Amérique Latine, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et dans l'ex - Union soviétique. Nos activités portent sur trois tâches essentielles, dont le soutien aux processus électoraux en terme d'observation d'élections ou de formation d'observateurs d'élections, le soutien aux partis politiques toutes tendances confondues, une assistance technique aux organisations de la société civile, ainsi que le soutien aux institutions de gouvernance comme les assemblées législatives qui constituent quand même un atout principal dans toute société démocratique. Telles sont, de manière résumée, nos activités à travers le monde.


L.M.: Qu'avez - vous déjà fait en Afrique ?
C.F.: A l'heure actuelle, nous avons des antennes dans quinze pays d'Afrique où nous avons des projets en cours, avec du personnel sur le terrain. Je peux vous citer, pour être plus concret, le cas de l'Afrique du Sud où le NDI a abattu avec l'ANC et les autres partis noirs qui n'avaient pas accès au processus politique, un travail colossal avant la fin de l'apartheid, juste après que Nelson Mandela ait été libéré. Nous avons ainsi pu les aider à mieux préparer des élections démocratiques en Afrique du Sud. Je peux aussi vous citer les cas du Bénin, du Mali ou du Ghana, des pays dans lesquels nous avons envoyé des missions d'observation, même le Sénégal où le NDI a joué un rôle très important au début des années 90 dans la réforme du cadre électoral ce qui nous a permis de voir avec le temps les améliorations que le Sénégal a connues dans ce cadre précis. Bien sûr, vous vous souvenez du cas du Cameroun, où le NDI avait travaillé en 1992, en envoyant une mission d'observateurs pour l'élection présidentielle ; malheureusement, c'est la seule et dernière mission que nous avons pu effectuer jusqu'ici dans ce pays.


L.M.: Justement, le Cameroun, parlons - en : est-ce parce que le NDI avait été accusé à l'époque par le pouvoir de soutenir l'opposition dans cette élection, que votre organisation est absente du processus de démocratisation qui piétine dans ce pays depuis lors ?
C.F.: Vous faites bien de poser la question, mais je crois que le temps nous a donné raison. Tout le monde se rend compte aujourd'hui que les accusations qui avaient été faites à l'époque contre le NDI ne se justifiaient pas du tout. De plus, lorsqu'on est sollicité par beaucoup de pays qui manifestent une volonté réelle de s'engager dans le processus de démocratisation, en ces temps où les ressources matérielles sont rares, il devient difficile de justifier une présence dans un pays où le contexte n'est pas aussi approprié. Cependant, j'ai été surpris agréablement, que la lettre du gouvernement qui présentait à l'Assemblée nationale le projet de loi sur l'observatoire des élections au Cameroun, affirme qu'on a tenu compte des observations faites par plusieurs organisations internationales dont le NDI; ce qui me confirme que quelque part il y a des gens, même au sein du gouvernement, qui ont apprécié les recommandations que nous avions faites. Je suis certain que si ces recommandations avaient été appliquées, le Cameroun serait mieux préparé pour des élections réellement démocratiques.


L.M.: Avec dix ans de recul, croyez-vous donc que le NDI avait des raisons de dénoncer cette élection ? Réagiriez-vous de la même façon aujourd'hui ?
C.F.: Je constate tout simplement que notre rapport reste d'actualité ; vous n'avez qu'à le relire et vous verrez que vous pouvez très bien remplacer la date de 1992 par celle d'aujourd'hui sans que cela modifie les faits que nous dénoncions déjà à l'époque ; la preuve, c'est que toutes les délégations internationales qui sont passées par le Cameroun après le NDI, la Francophonie, le Commonwealth, AFS, ont relevé exactement les mêmes faits que nous. Ce qui confirme que le constat que nous faisions en 1992 était juste. Ceci étant, je crois que ce qu'il faut viser dans tout cela, ce n'est pas l'élection, mais la manière dont elle avait été organisée, car les élections sont en quelque sorte la seule façon de pouvoir donner aux citoyens la possibilité de choisir librement leurs leaders politiques. Il y a au Cameroun, de ce point de vue, un grand débat à mener sur le processus électoral, et de manière générale, sur le processus de démocratisation dans ce pays. Ceci m'amène à penser que le fait qu'il n'y ait pas eu un consensus sur l'issue des élections de 1992 perturbe aussi un consensus national sur certains principes fondamentaux de la démocratie. A mon avis, tant que ce débat n'est pas réglé d'une manière globale, le Cameroun continuera à connaître des problèmes dans sa démocratisation.


L.M.: Le Cameroun s'apprête à entrer dans un cycle électoral qui pourrait commencer en janvier 2002 pour se terminer en octobre 2004, du moins si le président en respecte les échéances et décide de mettre enfin en place les institutions prévues dans la "nouvelle" mais déjà vieille constitution. Pensez-vous que d'ici là, le NDI et le Cameroun auront aplani le différend qui les oppose depuis 1992, afin que vous puissiez être là pour encourager le processus ou en dénoncer une fois de plus les tares ?
C.F.: Nous n'avons pas de préjugé en tant que tel vis - à - vis d'un pays. Le but de notre institut, c'est de soutenir les démocrates et la démocratie. Si l'opportunité nous est donnée, nous apporterons notre contribution, comme toutes les autres organisations intéressées par le processus de démocratisation en Afrique. Indépendamment des institutions comme le NDI et autres, il faudra aussi que l'on tienne compte du fait que les organisations de la société civile camerounaise devraient s'engager davantage dans le processus électoral afin de s'assurer que les élections seront bien organisées, et que l'issue de celles-ci sera bel et bien le reflet de la volonté du peuple. Nous avons par exemple vu ces temps derniers comment le rôle de la société civile était important dans le changement démocratique intervenu au Sénégal; le rôle joué par les organisations de la société civile, les médias comme les ONG, étaient à la longue beaucoup plus important que le rôle joué par les différentes délégations d'observateurs internationaux. Voyez-vous, Monsieur Njawe, il est important de rappeler aux leaders africains que les élections ne sont pas organisées pour faire plaisir à l'opinion internationale ; il faut pouvoir gouverner après les élections, d'où la nécessité d'obtenir auprès des électeurs, et donc des nationaux, un mandat qui permet au vainqueur de pouvoir gouverner, et au vaincu d'accepter l'issue des élections, sachant que celles-ci ont été organisées d'une manière transparente.


L.M: Quelles sont les conditions pour que le NDI soit présent aux prochaines élections qui se préparent au Cameroun ?
C.F.: Cette question m'amène à réfléchir un peu sur les éléments cruciaux pour une élection crédible. L'approche qu'ont certains pays, notamment ceux dans lesquels on ne retrouve pas une volonté politique d'ouverture, c'est cette tendance à penser que les élections se résument en un exercice technique, mettant ainsi plus d'accent sur une assistance matérielle qui leur permet d'organiser l'activité électorale, alors que de notre point de vue une élection doit être considérée comme une activité politique, une opportunité de négocier le contrat social qui devrait exister entre le citoyen et le leader politique. Alors s'il y a un élément qui peut déterminer la participation du NDI ou de toute autre organisation similaire dans le processus électoral dans un pays donné, la volonté politique, la volonté réelle de la part des dirigeants de ce pays d'avoir un système ouvert et transparent et équitable, qui puisse conduire à une participation du plus grand nombre. Tant que ces conditions n'existent pas, il sera de plus en plus difficile d'attirer la sympathie ou l'assistance de beaucoup d'organisations qui auront peur de légitimer un processus bâclé dès le départ.


L.M.: Que pense-t-on, au NDI, de l'Observatoire national des élections (ONEL) que le gouvernement camerounais a crée récemment comme réponse à la demande pressante d'un organisme indépendant pour la gestion des processus électoraux ?
C.F.: Au NDI nous n'avons pas mené une étude sur la nouvelle structure récemment créée au Cameroun. Mais d'un point de vue personnel, je ne vois pas l'ONEL comme une structure indépendante pouvant assurer l'organisation d'élections crédibles, car après tout, un observatoire n'est qu'un observatoire. On n'avait même pas besoin d'un cadre juridique particulier pour que les Camerounais puissent observer les élections dans leur pays. Donc je ne trouve pas que cela réponde vraiment à la nécessité d'avoir un cadre approprié et accepté par tout le monde, un cadre crédible qui puisse rassurer les Camerounais de ce que les élections seront enfin organisées de manière transparente, afin que les vainqueurs soient effectivement ceux sur lesquels la majorité du peuple camerounais aura porté son choix. Sur ce plan je ne cache pas mes inquiétudes, et je souhaite qu'il y ait d'ici les prochaines consultations un consensus national sur le cadre électoral, pour nous éviter les dérives que nous avons connues dans certains pays où des disputes sur le sujet ont compromis les chances d'organiser des élections crédibles.


L.M.: Que répondriez-vous à ceux qui vous accusent d'être à l'origine du conflit larvé qui entache les relations entre le Cameroun et le NDI depuis l'élection présidentielle de 1992 ? Et à ceux qui pensent que vous faites partie du jeu politique au Cameroun ? Au fait à quel camp appartenez-vous ?
C.F.: Là où vous me voyez assis, c'est de là que je vois le monde, c'est-à-dire de Washington D.C. D'ici, je vois l'Afrique et non un pays, fut-il le Cameroun. Je me considère comme un enfant d'Afrique, de l'Afrique tout entière. Aussi le travail que je fais c'est pour l'Afrique, et chaque fois qu'il y a un cas de succès comme l'Afrique du Sud ou le Mali, ou le Bénin, ou le Sénégal, ou le Ghana, cela me fait chaud au cœur ; et chaque fois qu'il y a un échec, que ce soit la RDC ou la Sierra Leone, cela me fait mal au cœur, car je suis attaché à l'Afrique. C'est vrai, je suis Camerounais, je suis autant attaché à mon pays, et cela m'oblige à mettre beaucoup plus d'effort pour que toute contribution que je peux apporter soit pour le bien du Cameroun. Cela dit, je ne me crois pas aussi puissant au sein du NDI pour pouvoir influencer cet institut dans son travail ; le NDI c'est une organisation crédible, connue, qui aujourd'hui a pour président du conseil d'administration Madeleine Albright, ancien secrétaire d'Etat américain, et qui est gérée par des personnes connues à travers le monde pour leur objectivité. Je ne pense donc pas qu'ils soient objectifs dans leur travail ailleurs et se laissent influencer dans le cas du Cameroun par un seul individu. Les gens ne doivent pas prendre prétexte de mes origines anglophones pour faire des spéculations politiques ; le Premier Ministre camerounais est un anglophone ; est-ce pour autant qu'il faille remettre en cause son objectivité ? Je ne le pense pas. J'émets le vœu profond et l'espoir qu'au fur et à mesure que le Cameroun évolue, nous laissions de côté ces considérations inutiles, pour trouver des Camerounais valables, capables de défendre leur pays à l'intérieur comme à l'extérieur, quelles que soient leurs provinces d'origine ou leurs langues maternelles ou la langue officielle dans laquelle ils s'expriment.