Afrik.com
Septembre 5, 2003


L'Afrique a l'epreuve de la democratie
Dr Chris Fomunyoh du National institute for international affairs

Par David Cadasse

Qu'est ce que la democratie en Afrique ? Les democraties africaines sont-elles independantes ? Quels sont les freins a l'exercice de la democratie sur le continent ? Le Dr Chris Fomunyoh (Cameroun), directeur regional pour l'Afrique au National institute for international affairs a Washington decortique ces questions de fond et nous explique son action sur le continent.

La democratie est-elle une coquille vide en Afrique ? Assurement non pour le Dr Chris Fomunyoh, expert camerounais en democratisation en Afrique. Directeur regional pour l'Afrique au sein de l'ONG National institute for international affairs (DNI) a Washington, il a mene de nombreux programmes de soutien a la democratie dans pres de vingt-cinq pays africains. Figure de reference dans la presse americaine pour les questions africaines, il se penche ici sur la pertinence et les ecueils de la democratie sur le continent et revient egalement sur les actions du NDI.

Afrik : La democratie est-elle un systeme politique qui convient a l'Afrique ?
Chris Fomunyoh : La democratie a toujours existe dans les societes traditionnelles africaines. Ce n'est donc pas un concept nouveau. Dans les villages, le chef travaille avec ses conseillers et les villageois lui expriment leurs griefs. Il existe meme un systeme judiciaire. Aujourd'hui, on compte parmi les Etats democratiques l'Afrique du Sud, le Senegal, le Benin, le Mali ou encore le Ghana. Ces democraties n'ont rien a envier a celles des autres continents. Meme s'il existe des particularites africaines, il y a des principes universels applicables a toute democratie.

Afrik : Quelle serait votre definition de la democratie ?
Chris Fomunyoh : C'est le mode de gouvernance qui permet aux gouvernes de participer regulierement aux prises de decision sur la vie quotidienne et la possibilite de pouvoir tenir ses elus responsables de leurs actes. C'est une definition succincte, mais qui regroupe les differents elements de la democratisation : des elections, la separation des pouvoirs, l'independance de la justice, un Etat de droit… Tous ces elements constituent pour moi l'ensemble que l'on appelle democratie.

Afrik : L'Afrique est-elle prete pour la democratie ?
Chris Fomunyoh :
L'Afrique est prete. Je ne fais pas partie de ceux qui estiment qu'on peut avoir un democratie au rabais en Afrique. Il n'y a pas une ecole de democratie. La meilleure ecole, c'est la pratique. Meme s'il y a eu des rates en matiere d'elections, comme au Togo, en Guinee Conakry ou au Zimbabwe, il y a aussi eu des succes. Des cas ou les elections ont ete menees de facon reguliere et ont abouti a une alternance paisible. Comme au Senegal, au Mali, au Ghana, au Benin ou encore en Afrique du Sud. Ces exemples prouvent que l'Afrique est prete a embrasser la democratie. Et la ou il y a une volonte politique, la democratie fonctionne.

Afrik : Le tribalisme, le nepotisme et la corruption ne sont-ils pas des freins a l'exercice de la democratie sur le continent ?
Chris Fomunyoh : Cela a amene a des derives, y compris a des guerres civiles dans les pays ou ses pratiques ont ete utilisees par des leaders politiques. Mais ces faits existent dans toutes les societes. Il n'y a pas de societe qui ne soit pas plurielle dans le monde d'aujourd'hui. La societe americaine est par exemple un amalgame de differentes origines. La diversite que l'on trouve dans les pays d'Afrique est une chose qui devrait etre utilisee a bon escient. Mais malheureusement, dans les cas ou il n'y a pas de volonte politique, ou le debat politique est limite et trop personnalise, les leaders se reposent sur leur ethnie ou leur tribu et cela fausse l'essentiel du jeu politique et de la democratisation.

Afrik : Avec l'eternelle ingerence des pays du Nord dans les affaires africaines, les democraties du continent peuvent-elles etre reellement independantes ?
Chris Fomunyoh : On ne peut pas nier l'interference des puissances etrangeres en Afrique. C'est un phenomene reel, malheureux dans certains cas, que l'Afrique a connu meme pendant la periode guerre froide. Bien des conflits en Afrique etaient alors des conflits par procuration pour le compte des grandes puissances. En depit de la faiblesse et de la fragilite du continent africain, je ne serais pas fataliste concernant ces interventions etrangeres. Nous constatons que la nouvelle generation veut avoir un role important a jouer dans la determination de l'avenir de leur pays. Et que parfois, par exemple en Cote d'Ivoire, l'avenir sera determine par les Ivoiriens eux-memes en depit des positions des uns et des autres sur le plan international. Au Liberia, qui vient de connaitre une crise importante, on a effectivement vu l'intervention d'une puissance etrangere, mais le plus grand travail est fait par les Africains de la Cedeao (Communaute economique des Etats d'Afrique de l'Ouest, ndlr). Il y a un reveil des consciences. Meme si on retrouve les anciennes habitudes de l'epoque coloniale, ou des trois premieres decennies apres les independances, de plus en plus les Africains se prennent en main pour prendre en charge l'avenir leur pays.

Afrik : N'y a-t-il pas, comme en Tunisie, des democraties de facade en Afrique ?
Chris Fomunyoh : Pour certains pays, c'est vrai et c'est decourageant. Au depart, beaucoup de gens pensaient qu'il suffisait d'organiser une seule election pour que le pays ou le regime devienne democratique. Or ce n'est pas le cas. La democratie doit etre renforcee au quotidien et une seule election ne suffit pas pour transformer un regime autoritaire en regime democratique. C'est un travail de longue haleine que doivent mener les leaders politiques, la societe civile, les legislateurs, les acteurs du pouvoir judiciaire, tous ceux qui peuvent contribuer a l'elargissement des espaces de liberte en Afrique.

Afrik : L'apres Sassou (Congo), Bongo (Gabon), Mugabe (Zimbabwe) ou Eyadema (Togo) est un gros point d'interrogation. La transition n'est-elle pas dangereuse pour les pays qui ont connu pendant des annees un meme leader ?
Chris Fomunyoh : Il faut reconnaitre que c'est une difficulte reelle que nous connaissons sur le continent. Cela explique pourquoi la transition est devenue difficile au Zimbabwe. La transition devient tres difficile a chaque fois que le pouvoir politique a ete trop personnalise. Il faudrait mettre en place des institutions fiables et perennes pour institutionnaliser la democratisation. Dans ce cas, quelle que soit la personne en place, la democratie pourra fonctionner. Etre au pouvoir depuis trente ou quarante ans est un constat d'echec car cela signifie qu'on s'accroche au pouvoir, qu'on n'a pas su le gerer et preparer la succession.

Afrik : Vous travaillez aux Etats-Unis. La politique etrangere americaine est assez controversee. Pensez-vous que les Etats-Unis ont une reelle envie de faire avancer les choses en Afrique ?
Chris Fomunyoh : De la ou je suis, je constate qu'il existe une reelle volonte d'aider l'Afrique et de creer une synergie entre le continent noir et les Etats-Unis. Mais il faut reconnaitre qu'il y a plusieurs Ameriques. Ce n'est pas uniquement le pouvoir executif qui pese aux Etats-Unis. Le Congres a aussi son mot a dire. Il peut voter des budgets ou les diminuer a sa guise. Il y existe tout de meme sur la place de Washington un pool de personnes et d'organisations qui s'interessent a l'Afrique et qui voudraient aussi porter leur contribution dans leur domaine d'expertise.

Afrik : Le National democratic institute est present sur les cinq continents. Quels sont vos grands chantiers actuels sur l'Afrique ?
Chris Fomunyoh : En ce moment, nous sommes tres actifs en Republique Democratique du Congo ou nous avons travaille avec les partis politiques non armes depuis les negociations du dialogue intercongolais en vue de la preparation de la transition politique et des elections a venir. Nous sommes aussi tres actifs au Nigeria, ou nous avons ouvert une antenne depuis la transition entre le regime militaire et le regime civil. Nous avons travaille pendant trois ans avec les deputes de l'assemblee nationale dans le domaine de la formation, de l'assistance technique. Nous avons observe les dernieres elections et nous continuons a travailler avec les organisations de la societe civile et la legislature nigeriane. Nous sommes egalement presents au Niger, au Mali, en Sierra Leone, en Afrique centrale, au Mozambique, en Namibie et au Malawi.

Afrik : Pouvez-vous nous citez un exemple concret d'action du NDI ?
Chris Fomunyoh : Nous avons realise en 2002, au Senegal, un tres bon programme avec les femmes en politique. Nous les avons preparees aux dernieres elections municipales et regionales. Nous avons reussi avec le concours des formations senegalaises a former plus de 3 000 femmes dont 1 800 ont ete elues dans des municipalites. Nous allons continuer a travailler avec elles pendant deux ans pour les former et leur donner les capacites de jouer pleinement leur role d'elus locaux.

Afrik : Vous dites etre tres present au Nigeria. Les dernieres elections presidentielles ont ete entachees de graves irregularites. Quelle est votre analyse sur le scrutin ?
Chris Fomunyoh : Le NDI a envoye une delegation de 50 personnes pour observer les elections. Il faut replacer le scrutin dans le contexte de transition que vit le pays. Les gens ont considere les elections de 1999, comme un referendum sur le retour des militaires dans les casernes. La plupart des Nigerians etaient interesses par le depart des militaires du pouvoir quelle que soit la facon dont les elections etaient organisees. Par contre, en 2003, les attentes etaient plus elevees car ils vivaient deja sous un regime civil. Cela explique pourquoi beaucoup ont ete plus critiques en 2003 qu'en 1999. Et puis il faut reconnaitre que l'opposition nigeriane etait tres dispersee, donc le President Obasanjo aurait pu gagner les elections loyalement. Mais ce qui a un peu fausse ce resultat, c'est que dans certains Etats ou Obasanjo aurait pu l'emporter, les resultats qui ont ete annonces etaient plus eleves que le nombre d'inscrits. Une fraude flagrante. Les delegations qui ont envoye des observateurs dans ces Etats ont ete obligees de porter ces observations sur la place publique. Ce qui a laisse le sentiment que le scrutin etait truque. Et c'etait effectivement le cas, dans certains Etats, mais je crois que dans l'ensemble, l'issue aurait ete la meme, meme si l'organisation des elections avaient ete homogene. Je crois d'ailleurs qu'Obasanjo a reconnu que la commission electorale n'avait pas bien fait son travail. Il a annonce que le pays etait en train d'envisager des reformes qui devraient aller dans le sens du renforcement du systeme electoral pour que le scrutin de 2007 soit mieux organise qu'en 2003.

Afrik : La NDI est une interface entre le departement d'Etat americain et l'Afrique. Vous a-t-on deja accuse d'etre a la solde de Washington ?
Chris Fomunyoh : Au debut des annees 90, au moment ou le processus de democratisation se mettait en place, beaucoup d'Africains ne comprenaient pas les interventions des organisations comme les notres car nous nous disions financees par le Congres americain mais en meme temps non gouvernementale, donc independant. Mais au fur et a mesure qu'ils nous ont vu a l'?uvre, que nous avons travaille en partenariat sans se placer en donneurs de lecons, ils ont fini par comprendre que nous n'avions d'autre mission que le soutien et de la democratisation a travers le continent. Nous travaillons vraiment de la maniere la plus transparente possible et cela a rassure beaucoup de nos partenaires et interlocuteurs.


[1] Le Dr Fomunyoh est dote d'une licence en droit de l'universite de Yaounde (Camroun), d'une maitrise en droit international d'Harvard (Etas-Unis) et d'un doctorat en sciences politique de l'universite de Boston. Professeurs vacataire a l'universite de Georgetown, il est egalement associe au Centre africain pour les etudes strategiques. Il possede egalement sa propore fondation, The Fomunyoh Foundation.

[2] Le NDI a ete cree en 1983 par un Act du Congres americain afin de renforcer et de promouvoir les institutions democratiques et le pluralisme politique dans les democraties emergentes a travers le monde.