Christopher Fomunyoh, expert du NDI "LES ACTEURS POLITIQUES IVOIRIENS MANQUENT DE VOLONTE"
NDI
Juin 2007

Le directeur Afrique du National Democratic Institute (NDI), structure américaine qui travaille sur les processus de démocratisation dans les pays sous-développés, a séjourné durant quelques jours en Côte d'Ivoire. Christopher Fomunyoh, dans cet entretien, fait le bilan de l'assistance de sa structure à la résolution de la crise ivoirienne. Malgré la paralysie actuelle du processus de paix, il exprime son optimisme de voir la Côte d'Ivoire retrouver la paix et la stabilité.

Quel est l'objet de votre séjour en Côte d'Ivoire? Je suis venu soutenir l'action de mes collègues sur le terrain. Etant donné que le NDI a une antenne à Abidjan, depuis plusieurs mois. Nous travaillons avec l'ensemble des partis politiques signataires des accords de Linas-Marcoussis, dans le cadre du processus de réconciliation nationale. Il s'agit également de voir dans quelle mesure nous pouvons élargir le champ d'intervention du NDI dans ce pays. Malgré la présence de votre structure en 2000, la Côte d'Ivoire connaît de graves violations des droits de l'homme. A la veille des échéances de 2005, quelles leçons avez-vous tirées de votre première mission en Côte d'Ivoire? Effectivement, lors de la première phase de notre engagement en Côte d'Ivoire en 2000, nous avons partagé notre expérience. Avec l'ensemble des acteurs politiques. Je rappellerai, par exemple, la mission d'étude en Afrique du sud avec 17 responsables de partis politiques ivoiriens. Beaucoup d'Ivoiriens avaient pensé que cette initiative allait porter de bons fruits. Peu après, le pays avait connu une situation apaisée. Pendant laquelle on a cru que toutes les difficultés, nées de la transition militaire, étaient résolues. Mais, hélas! Cependant, compte tenu de l'importance de ce pays dans la sous-région, nous sommes toujours prêt à partager notre expertise, chaque fois qu'elle est sollicitée. Cette fois, avec la bonne volonté des uns et des autres, nous espérons travailler, avec tous, dans le processus de réconciliation nationale et de la mise en application des accords de Linas-Marcoussis. Pour le retour de la paix en Côte d'Ivoire. Justement, à propos de ces accords, les différentes parties ivoiriennes semblent ne pas pouvoir accorder leurs violons dans leur mise en oeuvre... Nous pensons que ces accords posent les bases d'une réconciliation véritable en Côte d'Ivoire. C'est vrai quand un pays a connu une situation de crise aiguë, des accords de paix, seuls, ne suffisent pas. Il faudrait qu'ils soient accompagnés d'une volonté réelle de toutes les parties d'aller à la réconciliation. Et, malheureusement, c'est cette volonté qui fait actuellement défaut en Côte d'Ivoire. Dans ce cas, les accords de Linas-Marcoussis demeurent-ils encore une voie de sortie de crise? Malgré tout, c'est notre conviction. Des dispositions de cet accord sont en train d'être mis en oeuvre. Tout le monde se rend même compte que si ces accords avaient été appliqués, de façon sincère, ils auraient pu ramener, assez vite, une réconciliation véritable et une paix durable. Si le NDI revient en Côte d'Ivoire, c'est parce qu'il est persuadé qu'en travaillant avec toutes les parties, il est possible d'amener les uns et les autres à mettre l'intérêt national au-devant des négociations. Au lieu de privilégier les intérêts personnels. Dans la situation actuelle de paralysie du processus de paix, quel bilan faites-vous de l'action de votre institut? Depuis quelque neuf mois, nous avons pu travailler avec l'ensemble des parties signataires des accords de Linas-Marcoussis. Qui soutiennent nos activités et nous encouragent à élargir nos actions. Eux aussi croient que l'action du NDI peut porter des fruits. Même si nous n'avons pu effectuer l'ensemble de nos activités, notamment à l'intérieur du pays, nous sommes satisfaits du fait que tous les acteurs de la crise continuent à solliciter notre assistance. Et nous sommes déterminés à accompagner les Ivoiriens dans la recherche de la paix et de la réconciliation. Face au blocage du processus de paix, quel est votre sentiment? Il ne faut pas désespérer quand on travaille dans le domaine de la démocratisation en Afrique. Les processus de démocratisation ne connaissent pas une trajectoire linéaire. Il y a toujours des moments difficiles. Mais, si la volonté politique y est, le pays finit toujours par s'en sortir. En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, je reste optimiste. Car, dans les discussions avec les hommes et femmes que rencontre, je me rends compte que les Ivoiriens aspirent à vivre en paix, dans une société démocratique qui accepte le pardon et la tolérance. Comme la Côte d'Ivoire, le Cameroun votre pays d'origine va bientôt connaître une période électorale. Le NDI envisage-t-il d'y ouvrir une antenne? Compte tenu de l'expérience que le NDI a vécue en 1992, il serait très difficile pour cette institution de s'investir de nouveau au Cameroun, à l'occasion de la présidentielle de cette fin d'année 2004. Mais, en tant que Camerounais qui a beaucoup d'espoir dans l'avenir de son pays, je ferai tout pour apporter, de façon personnelle, ma contribution au processus de démocratisation dans mon pays. S'agissant de 1992, qu'est-ce qui a offusqué votre structure, au point qu'elle décide de ne plus y remettre les pieds? En 1992, nous avons travaillé avec l'ensemble des acteurs politiques camerounais. Pour former les délégués des partis politiques, en matière d'observation des élections. Nous avons ensuite, à l'occasion du scrutin présidentiel de cette année, envoyé une délégation d'observateurs internationaux. Cette délégation a fait des critiques sur le mauvais fonctionnement du système électoral. Mais, a surtout fait des recommandations sur les conditions d'amélioration du processus électoral. Malheureusement, 12 ans après, on se rend compte qu'aucune des recommandations faites n'a été appliquée. Entre-temps, lors des scrutins qui ont suivi, les mêmes irrégularités et insuffisances ont été reproduites. Or, si les pertinentes recommandations du NDI avaient été mises en oeuvre, le système électoral rencontrerait, aujourd'hui, l'acceptation de la majorité des Camerounais. Le Cameroun est donc boycotté par le NDI pour grave déficit démocratique? Le Cameroun n'est pas à sa place, pour ce qui est du processus de démocratisation en Afrique. Ce pays ne figure pas parmi les 10 pays africains qui ont enregistré des avancées dans ce domaine. Ce qui n'est pas normal. Car, ce pays dispose d'importantes potentialités. Qui le prédisposent, dans tous les domaines, à jouer un rôle de locomotive en Afrique centrale. Quelle sont les conditions du retour du NDI au Cameroun? Il faut déjà que les autorités se décident à mettre en place un système électoral fiable, accepté par les différents acteurs politiques. Ici, en Côte d'Ivoire, par exemple, il a été mis en place une Commission électorale indépendante (CEI). Tout comme au Mali, au Bénin... où toutes ces structures fonctionnent. Il faut également créer les conditions pour mettre électeurs et acteurs politiques en confiance. je veux parler notamment du vote à 18 ans, du bulletin unique, des urnes transparentes. Tant que ce système électoral qui rassure ne sera pas mis en place, les gens vont se décourager, les taux de participation vont continuer à chuter. Ce va donner lieu à des élections sans impact réel. Et en fin de compte, ce déficit démocratique pourrait développer des situations conflictuelles.

Propos recueillis par Videl Kouadio