Cameroun: «C'est le moment pour Paul Biya de prendre sa retraite et
d'être respecté»
Candidat ou pas ? Au Cameroun, l'avenir du président Biya provoque de multiples débats
depuis que le porte-parole du gouvernement et celui du parti au pouvoir ont affiché publiquement leur
désaccord. C'était au début de la semaine sur RFI. Ce vendredi, voici la
réaction de Christopher Fomunyoh. Mais comme le grand essayiste camerounais est aussi le directeur
Afrique du National Democratic Institute, un think tank américain proche du Parti démocrate,
il s'exprime d'abord sur le sommet organisé mercredi par Donald Trump. En ligne de
Washington, Christopher Fomunyoh répond à C. Boisbouvier.
Christopher Fomunyoh, politologue, cadre supérieur
et directeur régional pour l'Afrique au National Democratic Institute(NDI), Washington DC.
© Archives personnelles de Christopher Fomunyoh
RFI : « Plus de commerce, moins d'aide », a dit en substance Donald Trump aux cinq
chefs d'État africains qu'il a reçus ce mercredi à la Maison Blanche.
Qu'est-ce que vous pensez de cette nouvelle approche des États-Unis avec l'Afrique?
Christopher Fomunyoh: Effectivement, je pense que peut-être, compte tenu des richesses
naturelles existant sur le continent, ça va ouvrir de nouvelles perspectives. Et nous l'avons
ressenti parce que, mercredi, les cinq chefs d'États à tour de rôle, chacun parlait
des richesses naturelles de son pays. Et il est envisagé un autre sommet, peut-être au mois de
septembre à New York, et peut-être que ça va changer le paradigme.
Les contrats miniers, c'est l'un des arguments que les États-Unis mettent à
présent sur la table. Est-ce qu'après 25 ans d'échec dans les Grands Lacs,
cette stratégie pourrait réussir?
Peut-être que les deux États du Congo et du Rwanda, voyant un intérêt commun dans
la possibilité de nouvelles richesses dans l'exploitation des minerais, pourront s'entendre
à régler leurs conflits par des voies de négociations. Donc c'est à
encourager si ça peut calmer les choses et éviter la perte en vies humaines qu'a connu le
Congo à l'est de son territoire, c’est vraiment à saluer.
Alors à propos de ces matières premières, pour l'instant, c'est la Chine
qui exploite le plus de terres rares en Afrique. Est-ce que les États-Unis ont raison ou pas de
vouloir entrer en compétition avec la Chine sur le terrain africain?
Effectivement, la compétition avec la Chine, je ne serais pas surpris si cela était
entré dans le calcul par rapport même à l'invitation des cinq pays dont les chefs
d'États se trouvent à Washington en ce moment.
Donc, a priori, Washington a pris soin d'inviter cinq chefs d'États qui
résistent à la force d'attraction de la Chine?
Je ne sais pas si c'est cela, l'indicateur qui a motivé le choix de ces cinq pays, mais
c'est quand même des pays qui, à divers degrés, contiennent des ressources qui
peuvent attirer le secteur privé américain.
Sur RFI et France 24, au mois de mars dernier, le nouveau président du Gabon, Brice Clotaire
Oligui Nguema, a révélé que les Chinois avaient souhaité installer une base
militaire sur les côtes gabonaises, mais que le Gabon avait décliné la proposition.
Est-ce que vous pensez que c'est l'une des raisons pour lesquelles ce président
était invité à la Maison Blanche ce mercredi?
Effectivement, ça se voit que, depuis la transition au Gabon, le Gabon essaie de peser aussi dans les
conversations diplomatiques avec Washington. On l'a ressenti aussi mercredi lorsque le nouveau
président gabonais a fait étalage de son ouverture.
Vous êtes Camerounais et vous suivez avec beaucoup d'attention le début de la
campagne pour la présidentielle d'octobre prochain. Cette semaine, on a entendu le
porte-parole du gouvernement nous dire que la candidature de Paul Biya à un huitième
mandat n'était sûre qu'à 50%. Puis le porte-parole du parti au pouvoir RDPC
nous dire que cette candidature était sûre à 100%. Comment vous réagissez?
Cela ne me surprend pas du tout. Tout au contraire, ça démontre ce que nous avons toujours
décrié avec le régime en place, parce que nous avons vu le ministre René Sadi,
par exemple, qui semble prendre la mesure de l'angoisse dans laquelle vivent les populations
camerounaises quant à l'effectivité de la gouvernance et de la gestion du pouvoir par le
président Paul Biya. Il a essayé d'être rationnel et même de rassurer dans une
certaine mesure ces populations-là. Mais quelques heures après, nous avons été
très surpris que le ministre Fame Ndongo sorte en se lançant dans un sophisme exacerbé,
qui prête à confusion non seulement pour les Camerounais, mais aussi pour tous les Africains
qui regardent avec curiosité ce qui se passe au Cameroun.
Si Paul Biya vous demandait conseil aujourd'hui, qu'est-ce que vous lui diriez ?
Je lui dirais clairement d'aller se reposer parce que, si je voulais être cynique, je dirais comme
certains que la candidature de Paul Biya serait un cadeau. Le plus beau cadeau que le parti au pouvoir
pourrait rendre à l'opposition. Parce que ce serait très facile de le battre dans une
campagne où il ne pourra pas battre campagne, où il ne pourra pas faire des tournées
dans les dix régions du pays, où il ne pourra pas interagir avec les journalistes et les
populations. Mais je ne suis pas cynique à ce point. Je suis optimiste de nature et je lui dirais
carrément : « en tant que grand-père, en tant qu’arrière-grand-père,
c'est le moment de prendre votre retraite et d'être respecté par les Camerounais et par
les Africains et par le monde entier ».
|