PAGE L'INVITE
5 juin 2017

Dr Christopher Fomunyoh

"Les Camerounais aspirent á être gouvernés autrement"
"Repenser notre démocratie et notre gouvernance"

Le Senior associate for Africa de l'organisation dénommée National democratic institute for international affairs (Ndi)décline des actions à mener pour des élections crédibles gages de stabilité au Cameroun et lève un coin de voile sur des solutions de nature à résorber la crise anglophone de façon durable et définitive qui s'enlise dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest.

Un communiqué de presse signé du secrétaire général de la présidence de la République revient sur le drame ferroviaire survenu en octobre dernier à Eseka. De ce communiqué, il apparaît que Camrail, concessionnaire du chemin de fer au Cameroun est désigné responsable de cet accident. Dans la foulée la présidence annonce un appui supplémentaire d'1 milliard FCFA pour les victimes et la construction d'une stèle à Eseka. Quelle lecture faites-vous de cette actualité au Cameroun?

Je me réjouis du fait que ce dossier reste au-devant des priorités et pour l'Etat comme pour la société Camrail, surtout dans l'objectif de pallier les préjudices subis par les passagers et des mesures concrètes devant éviter pareils accidents dans l'avenir. J'apprécie une bonne partie du contenu du communiqué de presse ainsi que la réponse de Camrail qui clarifie davantage les dispositions prises ou envisagées dans le cadre de ses responsabilités contractuelles et civiles. Je suis heureux d'apprendre que les dossiers d'indemnisation sont ouverts au niveau de cette entreprise qui, avec ses assureurs, est disposée à indemniser les victimes comme il se doit.

Quid du milliard supplémentaire destiné aux victimes selon la volonté du chef de l'Etat ?
Le 1 milliard FCFA contenu dans le communiqué et alloué aux victimes et ayants droit émane du trésor public et devrait être perçu comme un acte de compassion de la part de l'Etat et donc de l'ensemble des compatriotes, et non pas comme un geste de magnanimité de la part d'un seul individu, comme une certaine presse voudrait nous faire croire. Certes, à mon sens, et comme je l'avais souligné en son temps en octobre 2016, la mise en place de la commission d'enquête, sa composition, la participation des experts nationaux autres que des fonctionnaires, ainsi que les délais de publication du rapport auraient pu être gérés différemment. Beaucoup de détails échappent encore aux populations que nous sommes. Il a fallu huit mois depuis octobre 2016 pour que le communiqué sorte, et c'est dans ce communiqué qu'on découvre 18 ans après la convention de concession de 1999, que certaines obligations qui revenaient à l'État attendent toujours d'être mises en application. J'ose espérer que la gestion de la suite du dossier, surtout par rapport aux volets relatifs à l'implication des services publics (ou de l'Etat), se fera de façon transparente et équitable.

L'année 2018 pourrait être une anné électorale au Cameroun avec à la clef, la présidentielle, les sénatoriales, les législatives et les municipales. Paul Biya qui seul détient le calendrier électoral est-il en mesure d'organiser avec Elecam, quatre consultations électorales en une année dans un pays en proie à la crise économique? Que faut-il faire selon vous?

Votre question capte de façon synthétique les préoccupations que les concitoyens évoquent de plus en plus depuis un certain temps, surtout qu'il faut, pour ceux qui croient encore à la décentralisation, y ajouter les élections régionales. Ces préoccupations sont réelles, et beaucoup reste à faire dans ce chantier électoral et politique. L'urgence de la mise en place de manière consensuelle de réformes électorales n'est plus à démontrer, tout comme l'adoption d'un calendrier électoral qui permettrait aux citoyens et à tous les acteurs concernés d'avoir une égalité de chances dans cette compétition. Par exemple, Il faut crédibiliser davantage l'administration électorale, Elecam, par rapport à sa neutralité et la couleur politique de ses dirigeants, octroyer le droit de vote aux jeunes adultes de 18 à 20 ans qui sont en toute circonstance juridique les piliers de notre avenir mais à qui on refuse le droit de vote, et prendre les mesures pour accroître la transparence dans le comptage et la transmission des résultats. Comme ça se voit dans certains pays du continent, gérer un processus électoral dans l'opacité et au gré des personnes peu soucieuses de la crédibilité de celui-ci est un exercice futile et trop risqué. Notre pays mérite mieux que ça. Il ne sert à rien de procéder à des élections par embuscade ou de créer de façon délibérée des crises électorales dont l'issue pourra fragiliser encore davantage aussi bien la légitimité des élus que le tissu social et la cohésion nationale.

La crise dite anglophone se joue désormais au tribunal militaire avec l'enrôlement des affaires des leaders du consortium arrêtés puis incarcérés. Ne craignez-vous pas la mise en mouvement d'une Justice aux ordres destinée à broyer tous ceux qui revendiquent la tenue d'un débat national sur la question de la forme de l'État?

D'abord, dans ma conception des choses, la solution de cette crise anglophone que je considère depuis son déclenchement comme une crise nationale, demande une approche inclusive et politique - une approche qui favorise un dialogue franc et sincère. Chacun doit prendre la mesure de l'ampleur de cette crise et se donner l'obligation de contribuer à une gestion holistique, meublée par beaucoup de tact et d'ouverture d'esprit, pour éviter que l'unité nationale et la convivialité entre concitoyens ne soient fracturés de façon définitive. Dans ce sens, il faut éviter d'instrumentaliser les appareils juridiques ou administratifs contre ceux-là qui se sentent déjà marginalisés pour ne pas piétiner encore leur dignité qui, dans leurs yeux, est systématiquement bafouée depuis des décennies. Par exemple, l'une des sources de frustration à l'heure actuelle dans la communauté anglophone c'est le fait que des civiles avec lesquels l'Etat était en discussions soient du jour au lendemain traduits devant une juridiction militaire d'exception pour des simples délits d'opinion.

Si vous étiez président de la République, que feriez-vous pour résorber cette crise qui s'enlise dans les régions du Nord-ouest et Sud-ouest?

Tout d'abord, il est important de diagnostiquer à sa juste valeur l'impact assez néfaste de cette crise. Même si la crise d'un point de vue géographique se ressent de façon directe dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, il y a des Camerounais dans toutes les autres régions du pays qui s'identifient avec les doléances posées par les ressortissants de ces deux régions. D'autres compatriotes sympathisent parce qu'ils ont aussi mal à l'aise dans leurs conditions de vie même si les fondements historiques diffèrent les uns, des autres. En plus, il faut tenir compte des frères et des sœurs exerçant en dehors du territoire national, éparpillés un peu partout à travers le monde, qui manifestent aussi leur désapprobation par rapport à la gestion de cette crise, et s'étonnent du fait que ça dure. Tout ce monde souhaiterait, qu'une solution équitable et durable, soit trouvée, et au plus vite.

De façon concrète qu'envisageriez-vous dans une perspective qui devrait être salvatrice pour notre vivre ensemble ?

Mon approche aurait été de procéder en cinq étapes : 1) susciter à nouveau la volonté politique et un engagement au dialogue de la part aussi bien de ceux qui jusqu'à présent se considèrent en dehors de la République, tout comme auprès de ceux qui ont géré la cité comme si la République n'appartenait qu'à eux seuls ; 2) libérer sans conditions tous les détenus depuis le déclenchement de la crise pour jeter les bases d'un retour de confiance de part et d'autre et de l'acceptation de la légitimité des actions que l'Etat entreprendrait par la suite; 3) procéder à la convocation des assises de dialogue et de concertation sur l'ensemble des revendications posées, afin de rechercher des solutions politiques et durables à celles-ci ; 4) étendre ces assises de dialogue aux échanges sur les doléances que présentent des secteurs socio-économiques ou politiques pour que les citoyens dans leur globalité se retrouvent dans ces plateformes qui permettent à leurs propositions d'être prises en compte ; et 5) entamer des missions d'explication des résultats obtenus auprès des citoyens à la base pour rassurer les populations déjà si traumatisées, quant à la feuille de route retenue pour l'avenir. Une approche pareille retiendra l'adhésion de la vaste majorité de nos concitoyens et pourra rétablir la confiance et jeter les bases d'une conception consensuelle et éclairée de l'avenir que nous devons forger pour la patrie. Notre génération ne peut pas se permettre les erreurs des aînés, dont la gestion calamiteuse des relations humaines et la mal gouvernance ont poussé la patrie à ce point difficile et délicat. Nous devons nous rappeler à tout moment que l'un des principes fondamentaux des actions humaines est le penchant de l'homme et de la femme à plus de liberté et au plus grand respect de leur dignité.

Comment entrevoyez-vous l'avenir du Cameroun après 2018?

L'après 2018 dépendra de notre capacité à gérer avec abnégation et droiture les différentes crises auxquelles le pays est confronté ; il dépendra aussi de l'inclusivité et de la crédibilité des échéances capitales que vous avez évoqué plus tôt. Je suis optimiste de nature et j'entrevois beaucoup d'opportunités dans l'avenir, mais je dois aussi reconnaître que nous devons aborder les choses différemment pour mériter cet avenir radieux pour tous. Les populations aspirent à être gouvernées autrement. Les jeunes et la nouvelle génération demandent à s'impliquer davantage dans la gestion de la chose publique. Ainsi nous devons faire plus d'introspection afin de multiplier les efforts pour sauvegarder les acquis du passé et mieux confectionner les outils de demain, sachant que le Cameroun de demain ne se fera pas uniquement sur la base des décrets et des diktats d'un seul individu ou d'un petit groupe. Il nous faudra absolument repenser notre démocratie et notre système de gouvernance afin de démultiplier les espaces de participation civique et d'engagement citoyen.

Entretien avec ALAIN NJIPOU

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