Dr. Christopher Fomunyoh: "En 32 ans de Renouveau, beaucoup d’attentes déçues"
January 12, 2015

Régulièrement entre deux avions, Christopher Fomunyoh, le directeur Afrique du National Democratic Institute (Ndi), un think thank réputé proche du parti démocrate américain, au pouvoir aux Etats-Unis, Atterrit en cette fin de matinée du jeudi 06 novembre 2014 à Mutations. Dans sa suite, essentiellement jeune, on peut distinguer des hommes commis à sa sécurité d’abord plutôt facile. Il y a là aussi, un cameraman, un photographe et des attachés de presse. Toute cette équipe a mobilisé trois véhicules de marques imposantes, qui débarquent au siège des Mutants, sans sirènes. Homme grand et grand homme, Christopher Fomunyoh rêve grand pour le Cameroun et pour l’Afrique. Au cours de l’entretien avec la rédaction de Mutations, qui ira au-delà des 90 minutes convenues, le responsable Afrique du Ndi a soigneusement pris des distances avec la langue de bois. Dans une vivacité d’esprit que bien d’acteurs politiques camerounais lui envieraient, M. Fomunyoh navigue avec aisance de la politique à l’économie, en passant par la culture et les faits de société. Un régal pour le panel d’interviewers et partant pour l’ensemble de la rédaction de Mutations, dont il se félicite de l’avènement d’un nouveau patron à sa tête. Sont ainsi abordés dans l’entretien cicontre, la crise burkinabé et ses leçons pour l’Afrique, le bilan des années Biya, ses ambitions pour le Cameroun, la guerre déclarée contre Boko Haram, la question de la double nationalité, l’opération Epervier, l’état de la liberté de la presse au Cameroun, etc. Pour sa (toute première) escale à Mutations, avant son déplacement déjà calé pour la République centrafricaine, Christopher Fomunyoh n’a pas chômé. Attachez vos ceintures et bonne lecture ! Cette entrevue a été realisée bien avant l'adoption des textes de loi sur le terrorisme au Cameorun.

Mutations: Les 32 ans du pouvoir du Président Paul Biya se célèbre aujourd’hui, comment percevez-vous cet évènement et quel est le lien que vous faites avec la chute de Blaise Comparé ?

Christopher Fomunyoh: Le 06 novembre est un jour historique pour le Cameroun indépendant parce que c’est la première fois que nous avons connu une alternance au pouvoir. Il ya de cela 32 ans, le président de la République actuel a prêté serment dans la mémoire des Camerounais, ça reste une date historique et je crois que même dans l’avenir les historiens parlerons de cette date. Personnellement, en novembre 1982, j’étais cadre juridique à la Cameroon Airlines (Camair), donc j’ai vécu l’annonce le 04 novembre puis la prestation de serment le 06 novembre et je me souviens qu’à Bonanjo, les populations avaient défilé sur l’avenue De Gaulle et dans les quartiers chauds de Douala, Akwa, New-Bell parce que c’était vraiment un grand événement. Je crois qu’avec cette prestation de serment, en 1982, beaucoup d’espoirs ont été soulevés, beaucoup d’attentes parce qu’il y avait comme un changement de génération entre un ancien président de la République qui n’avait pas fait l’université, mais qui était très pragmatique dans son approche et un nouveau président de la République, jeune qui avait 49 ans et qui était perçu comme un technocrate, moderne et très ouvert et qui avait à l’époque un discours très ouvert sur la normalisation et la modernité. Ce qui donnait espoir que le pays allait continuer son élan économique et on se préparait à entrer dans une ère nouvelle de démocratisation et de multipartisme pour pouvoir décoller. 32 ans après, je crois que beaucoup de ces attentes ne sont pas satisfaites et en plus compte tenu de l’évolution du reste du monde qui est très compétitif, beaucoup sont ces Camerounais, y compris moi, qui disent que le Cameroun n’est pas à sa place sur le train de la modernisation en Afrique. Que nous ne sommes pas cités comme un pays phare de la démocratie, de la bonne gouvernance ou de développement sur notre continent alors que nous avons tout ce qu’il nous faut pour réussir, donc cela traduit mon état d’esprit au jour d’aujourd’hui et je crois que cela traduit l’état d’esprit de la grande majorité à ce jour.

Quelles leçons du Burkina Faso ? e vais partager avec vous ce que nous avons vécu sur la place de Washington, ces derniers six mois parce que il y a eu beaucoup de discussions dans le milieu des organisations qui soutiennent la démocratie à travers le continent ou à travers le monde. Beaucoup de discussions sur le Burkina Faso, d’abord pendant le sommet Usa-Afrique, il y a eu beaucoup de commentaires au niveau de la société civile aux Etats-Unis sur la gestion des invitations, qui devait être invité et qui ne devait pas ? On citait déjà le Burkina Faso, pour dire que pourquoi un chef d’Etat qui est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat et qui a mis 27 ans au pouvoir, qui songeait déjà à l’époque à modifier la Constitution, est invité alors que d’autres comme Mugabé ou Béchir n’avaient pas reçu cette invitation. Donc il y avait déjà ce débat autour du Burkina et je crois que lorsque l’ancien président Blaise Comparé est arrivé à Washington, il a esquivé beaucoup de journalistes qui voulaient l’interviewer sur la question. Mais il est sorti de là, paradoxalement, avec une détermination à foncer et à aller de l’avant dans le sens d’amender la Constitution de son pays. Il ya de cela un mois à peu près, nous avons tenu une conférence au siège du Ndi, l’institut pour lequel je travaille, pour parler des élections africaines pour les deux années à venir parce qu’en 2015 et en 2016, il y aura 18 à 20 élections présidentielles et législatives sur le continent. Certains diront à hauts risques, certaines seront vraiment capitales pour les différents pays. Dans cette série d’élections, il m’a été posé la question de savoir quelles sont les trois élections les plus cruciales pour moi et quelqu’un avait même dit les élections qui vous empêchent de dormir la nuit. J’ai cité le Burkina-Faso, le Nigeria et la Côte d’Ivoire, parce que je vois ces trois élections situées sous un seuil de complications. Du moins, je le voyais il y a un mois. Le Burkina était un peu surpris parce que ce pays ne se situe pas sur la table des africanistes. Et, ce qui s’y est passé me rend un peu triste à cause de l’incapacité de nos leaders politiques à capitaliser sur leur contribution au développement de leurs pays. Il est vrai que lorsqu’on regarde le bilan de Blaise Compaoré, il y a un côté très négatif, un côté qui reste encore à éclairer avec des points qui méritent d’être éclaircis, mais il ya aussi un côté de succès. Ouagadougou d’il ya deux décennies était Ouagadougou de la poussière, mais aujourd’hui c’est une ville bien construite, on sent que le développement économique a porté. Le Burkina, par le passé, n’avait pas un grand rôle dans l’Afrique de l’Ouest, mais ces dernières années à cause de la médiation de Blaise Compaoré dans différents conflits, il a pu contribuer à sa manière à une certaine stabilité en Afrique de l’Ouest. Il aurait pu capitaliser sur les acquis de ces dernières années pour léguer quelque chose de son passage à la présidence du Burkina Faso. Un moment, j’avais effectivement pensé que quelqu’un comme Blaise Compaoré aurait pu lancer un Centre national ou un Centre africain de la médiation. Un Centre dans lequel il devait réunir les différents acteurs qui ont contribué aux missions de médiation dans différents pays en conflits. Un Centre de recherches pour les jeunes universitaires africains afin d’inspirer ces derniers à écrire l’histoire du continent. Mais son comportement sur cette question de la modification de la Constitution, son désir à s’éterniser au pouvoir après trois décennies, l’ont poussé à sortir du pouvoir par la petite porte. Pour moi c’est vraiment triste pour le Burkina Faso. Aujourd’hui on a le sentiment que c’est un éternel recommencement et chaque pays africain doit passer par le processus de Sisyphe où on est obligé de reculer à chaque fois pour recommencer. Ma lecture du Burkina Faso est positive au niveau de la prise de position de la jeunesse africaine. Pendant les eux dernières décennies, j’ai toujours dit que les Africains sont aussi brillants que tous les autres, les Africains aspirent à être gouvernés autrement ils aspirent aux espaces de liberté, à la bonne gouvernance et que ces derniers n’ont pas de possibilité de s’exprimer. Le fait de voir plus d’un million de Burkinabés sous une température de 40° sortir dans les rues de Ouagadougou, BoboDioulasso et des autres villes du pays pour dire non à la modification de leur Constitution a été pour moi un message très fort. Ils l’ont fait un Lundi et les syndicats ont suivi le Mardi, cela prouve que ce peuple, qui a été minimisé aux yeux du monde, était prêt à défendre ses libertés. C’est un geste de maturité pour la démocratie qui ne souffre d’aucune contestation. C’est pour moi le côté rassurant, un côté qui m’inspire la fierté en tant qu’Africain. Si les Burkinabés arrivent à s’entendre sur une transition inclusive, je crois que le Burkina pourra tourner la page des coups d’Etat et envoyer un message fort à travers tout le continent que l’espoir est devant nous.

Pourquoi en 2008, ça n’a pas marché au Cameroun ? Je pense que ce qui s’est passé dans notre pays en 2008 est regrettable. Nous avons eu à connaître des pertes en vies humaines parce que même s’il ya un Camerounais qui meurt pour des raisons d’espaces de liberté, c’est un Camerounais de trop qui est mort. Je pense que le contexte était un peu différent, d’abord parce qu’il ya eu ce mélange entre les manifestations de la faim, les revendications d’ordre économique et les revendications politiques. Le message au départ n’était pas très explicite alors qu’au Burkina, la procédure était lancée, les députés étaient protégés pour aller à l’Assemblée juste cautionner le projet de loi qui était soumis de l’exécutif, donc il était très facile de canaliser l’opinion nationale et internationale sur la question burkinabé. En 2008, ce n’était pas le cas pour le Cameroun. Aussi depuis 2008, le monde a beaucoup évolué parce que depuis un certain temps, l’Afrique et les partenaires de l’Afrique ont compris que le problème en Afrique, c’est la gouvernance. Les conflits que connaissent pays africains ne naissent pas de ce que l’Afrique est de nature conflictuelle. Non, ces problèmes sont là à cause des règles de gouvernance. Même quand il y a consensus sur les règles, il y en qui tentent de s’en soustraire ou de les modifier. D’où les frustrations des populations. Donc ce qui était toléré il y a de cela sept ou huit ans ne l’est plus aujourd’hui par les Africains et les partenaires des Africains. Dans ce contexte, le Burkina est une sonnette d’alarme, non seulement pour le Cameroun mais aussi pour d’autres pays africains.

Et votre rôle dans la situation vécue en 2008 ? Le devoir patriotique qui m’anime et qui devrait animer chacun de nous en tant que citoyen de ce pays est tel que je compte comme je l’ai dit continuer à apporter ma modeste contribution pour que notre pays retrouve sa place et que toutes les opportunités qui se présentent pour qu’on progresse et qu’on consolide les acquis et qu’on fasse davantage dans le domaine de la bonne gouvernance dans lequel j’ai de l’expertise.

D’après vous quel est le rôle que les armées devraient jouer pour aller vers de plus en plus démocratie ? Les armées africaines ont un rôle capital pour l’évolution positive de notre continent. Le constat est réel dans les pays où les armées se sont limitées à leur rôle républicain et au respect de la dignité humaine. Ces pays ont, à travers d’anciens officiers de l’héritage colonial, qui ont dans les années postcoloniales continué à se comporter comme à l’ancienne époque freiné l’évolution du continent africain. Ceux-ci ont contribué à la violation des droits de l’homme et de la dignité humaine, ce qui a finit par contribuer à cette image négative du continent africain. A ce jour, je suis heureux de constater que les armées africaines jouent de plus en plus un rôle constructif et positif. Cela s’explique par l’évolution générationnelle au sein des corps d’officiers dans les différentes armées africaines. De plus en plus, on y retrouve des officiers qui sont bien formés dans les mêmes écoles que leurs collègues civils et qui respectent l’éthique militaire sur le rôle et la responsabilité des forces armées. Je crois aussi que cela est du aux nouveaux instruments qui permettent de mieux contrôler le travail, la fonction des militaires et des responsables des différents services de sécurité. Aujourd’hui, l’impunité des décennies précédentes n’existe plus. Dans beaucoup de pays, le cadre national qui a été amendé et modifié suivant les normes de sécurité dans lesquels beaucoup de pays africains se sont engagés. Mais il y a aussi des instruments internationaux comme la Cpi (Cour pénale internationale) qui se sont mis en place et qui ont la possibilité, au cas où la juridiction nationale n’agit pas, de se saisir de certains dossiers pour traiter effectivement les cas de violation des droits de l’homme par les services de sécurité et les forces armées.

Lorsque vous dites que vous allez de plus en plus vous impliquer sur le plan national, c’est jusqu’à quel niveau ? Comme vous le savez, de naissance je suis un enfant du village et ceux qui me connaissent savent que je suis né dans un petit village dans un coin du Nord-Ouest. C’est là que j’ai grandi. J’y suis allé au collège, au Lycée de Bambili avant de venir à l’université de Yaoundé. Je suis très attaché à mes racines. Vous n’avez qu’à y aller pour voir que lorsque je suis au village, je n’arbore pas de cravate, pas de veste, je suis en tenue traditionnelle et je participe à toutes les activités. Vous savez j’ai aussi la fondation Fomunyoh qui existe depuis 1999. C’est une Ong qui œuvre dans le social et dans l’humanitaire. Cette Fondation dont le siège est à Bamenda a animé beaucoup de semaines de formation, de renforcement de capacités pour les journalistes en province, parce que ceux-ci n’ont pas les mêmes facilités que leurs confères des grandes villes. Beaucoup de séminaires de formations pour les organisations communales, les organisations de la société civile. Beaucoup d’éducation citoyenne sur les questions de santé. Pendant une année, des séminaires sur le Vih/Sida à l’intention des populations, des guérisseurs traditionnels, à l’intention des chefs traditionnels, avec l’appui des médecins et du personnel du ministère de la Santé.

Nous avons une bibliothèque communautaire qui dispose de plus de 25.000 livres, à la disposition des élèves, des chercheurs, des professionnels qui vont là-bas faire leur recherche gratuitement. Nous avons une radio à la fondation. C’est une radio communautaire qui organise des émissions culturelles sociales et qui donne les opportunités aux jeunes journalistes, parfois même aux bacheliers et licenciés qui cherchent un premier emploi et qui n’ont pas un Cv suffisant pour être compétitif, pour faire leurs preuves. Par la suite, beaucoup ont trouvé du travail. C’est notre façon de contribuer au développement de notre pays à la base. La Fondation a eu à mener des activités conjointes avec la chefferie de Dschang à l’Ouest, avec une association des femmes à Douala et depuis le début de cette semaine, je fais des dons des livres dans les établissements d’enseignement secondaire de Yaoundé. J’envisage de faire autant à travers le pays. Je crois qu’en tant que citoyen, je peux être utile à tous les niveaux.

La prochaine élection présidentielle au Cameroun aura lieu en 2018, certains pensent que vous feriez un bon président pour le Cameroun ! Je remercie mes compatriotes. Si j’ai pu tenir dans le travail que je fais au NDI depuis 20 ans déjà, c’est grâce aux encouragements que je reçois de ces derniers. Je ne peux pas vous dire combien de fois à chaque interview accordée dans une radio étrangère, les compatriotes m’envoient des emails, des coups de fil pour m’encourager dans ce que fais parce qu’ils identifient à travers ma modeste personne. Je profite de cette opportunité pour les remercier tous autant qu’ils sont. C’est une source supplémentaire d’énergie pour moi. Le dernier livre que j’ai écrit a suscité beaucoup d’intérêt. Je suis très honoré de constater deux décennies après que les appels et les suggestions continuent de me parvenir. C’est une preuve qu’à ce jour je n’ai pas déçu mes compatriotes et ils estiment que je peux apporter une contribution pour l’avenir de notre pays. Pour ce qui est de l’élection présidentielle, quatre ans, c’est une éternité. Beaucoup de choses peuvent se passer entre-temps, le monde évolue à grande vitesse. On vient de voir, il y a de cela deux jours, un président américain qui a été élu à un pourcentage très élevé, qui a eu un deuxième mandat et qui a presque été terrassé aux élections législatives. Il a perdu la majorité dans les deux chambres du congrès. Ce qui va lui rendre la tâche extrêmement difficile pour les deux ans qui restent.

Je ne peux pas vous dire combien de fois à chaque interview accordée dans une radio étrangère, les compatriotes m’envoient des emails, des coups de fil pour m’encourager dans ce que fais parce qu’ils identifient à travers ma modeste personne. Je profite de cette opportunité pour les remercier tous autant qu’ils sont. C’est une source supplémentaire d’énergie pour moi. Le dernier livre que j’ai écrit a suscité beaucoup d’intérêt.

Ce qui voudrait dire qu’il est tombé très bas dans les sondages après être arrivé au pouvoir sur le piédestal du soutien des Américains et du monde entier. Quatre ans, dans ces choses, c’est très long. Au Burkina Faso, il y a des gens qui se préparaient pour les 12 mois à venir. Ils se voyaient en compétition en 2015, mais voilà que l’histoire du Burkina Faso vient de basculer. Ils sont confrontés à une nouvelle réalité. Ils doivent réajuster leurs stratégies pour être utiles à leur pays. Dans ces choses-là, chacun peut avoir sa stratégie, mais nous n’avons pas toujours la maîtrise de toutes les données.

Est-ce que vous y pensez le matin en vous rasant ?

Quand je me rase le matin, je ne pense pas au poste de président de la République du Cameroun, je pense au Cameroun tout court. J’ai fait beaucoup de pays africains. Je connais ce que traverse beaucoup de pays qui n’ont rien par rapport au Cameroun. Ces pays n’ont rien en ressources humaines pour gérer les institutions par rapport au Cameroun. Et, aujourd’hui ils sont devenus des pays de référence alors qu’il y a de cela quelques années quand un Camerounais entrait dans la salle tout le monde se taisait. Quand le Camerounais parlait, c’est tout le continent africain qui écoutait. C’est le seul pays, le Cameroun, a avoir eu deux secrétaires généraux de l’organisation de l’unité africaine (Oua), en son temps. De voir ce que nous sommes en train de rater, ce que nous pouvons devenir, je ne peux pas dire que cela me rend tranquille. Et ce jusqu’à ce que je sois rassuré que, de mon côté, j’ai suffisamment contribué pour que le Cameroun redresse la barre et se développe.

Allez-vous continuer votre action par la création d’un parti politique ?

A mon avis, notre transition démocratique des années 1990, 1991 et 1992 a été mal négociée et à ce jour nous continuons de payer le prix de cette mauvaise négociation de notre transition politique. Le débat politique à l’époque n’a pas préparé les Camerounais et nos populations à une participation citoyenne et active dans le domaine politique. Vous vous souviendrez qu’il ya eu des marches dans des grandes villes organisées par des personnalités de grande envergure, des intellectuels qui ont marché dans les rues pour dire non au multipartisme, non à la démocratie parce que c’était un phénomène étranger. Et dans l’autre camp, il y avait des personnes dont le projet politique se résumait en un slogan. Par exemple «Biya must go». Cette polarisation a fait que le débat politique dans notre pays soit encore faussé par endroit. Le débat n’a jamais été à la dimension qui devrait favoriser une éducation citoyenne et civique. C’est pour cela que certains pensent et posent la question de savoir : «Est-ce que Christopher Fomunyoh va créer lui aussi son parti ?» Ce n’est pas de cette manière que je vois la participation citoyenne et politique. Je constate que nous avons déjà plus de 200 partis politiques sur la place. Certains en parlent pour dire combien de fois notre société est démocratique. Pourtant ça fait pitié sur le plan international. Cette situation ne rend pas service au Cameroun. Ce n’est pas comme cela que nous devons communiquer sur le plan international. Ce nombre de partis ne renforce pas notre démocratie, plutôt c’est un signe de la fragmentation excessive du débat politique et de la participation citoyenne dans notre pays. Je me positionne comme un rassembleur, une personne ouverte sur les idées ou aux suggestions des uns et des autres, quelqu’un prêt à inviter ses compatriotes autour de la table pour que chacun apporte sa contribution dans le domaine dans lequel il a une expertise à partager. La première approche devrait être la création d’un tel environnement pour créer une masse critique afin d’œuvrer dans le même sens.

On sait que les Etats-Unis ont proposé plusieurs fois leur soutien au Cameroun contre Boko Haram.Mais on se rend compte que sur le terrain le Cameroun est seul au front. A votre avis qu’est ce qui fait problème, l’aide des Etats-Unis est-elle mal appréciée par les Camerounais ou y a-t-il une autre réalité ?

Je suis très affecté par ces attaques répétées des membres de la secte Boko Haram contre les populations et les institutions de notre pays et je salue pour cela la vaillance de nos forces de sécurité qui se battent au front pour que nous autres puissions vivre en sécurité et vaquer à nos occupations. Je ne pourrais en dire autant des forces de défense des pays voisins dont le terrain sert de point de lancement de ces attaques, de bases arrières pour les éléments de Boko Haram. Comme c’est une force qui se replie très souvent en territoire nigérian, cela nous met en difficulté parce que chaque fois qu’ils sont bloqués dans leurs tentatives d’infiltration au territoire camerounais, ils se replient sur le territoire nigérian et c’est ce qui nous bloque. Il faut que le Nigeria fasse sa part pour éradiquer ce phénomène de Boko Haram de nos territoires. Je suis très inquiet de la recrudescence des attaques, ce qui est une preuve d’impunité. Je pense que le Nigeria devrait répondre de son incapacité surprenante pour un géant qui par le passé a joué un rôle important au niveau du maintien de la paix en Afrique de l’Ouest. C’est incompréhensible que le Nigeria puisse laisser Boko Haram exercer avec impunité sur son territoire, non seulement au détriment des Nigérians, mais aussi de façon à déstabiliser un pays voisin, le Cameroun, avec lequel il n’a pas de problème. Quant au soutien, des Américains, je ne pourrai pas parler au nom des Américains et des autorités américaines. Mais les Etats-Unis ont dit ouvertement leur désir de porter main forte à tout pays qui se bat contre le terrorisme à travers le monde. Mais cette assistance peut se porter de plusieurs manières. Je pense que tant que nos forces de sécurité sont efficaces sur le terrain, on n’a pas forcément besoin de cette présence physique des forces étrangères. La coopération peut aussi se traduire par le renseignement militaire, l’échange des informations qui peuvent renforcer les capacités de nos forces sur le terrain. Les pays comme les Etats-Unis ont les outils qui leur permettent de capter très facilement le renseignement militaire. Les Etats-Unis, la France, les pays occidentaux ont la capacité d’aider non seulement le Cameroun mais les pays africains à tracer les origines de ces groupes terroristes.

Comment percevez-vous le déploiement de la diplomatie camerounaise ?

Je ne crois pas qu’elle soit au niveau qu’on aurait pu souhaiter, vous savez la formule «diplomatie de discrétion et d’efficacité» n’a plus de place au 21e siècle, c’est un langage que les diplomates et les pays utilisaient pour justifier un peu le manque d’actions de leur part, on ne se fait pas voir mais on est très efficace. Je crois qu’à ce jour, les chefs d’Etat sont sur lesréseaux sociaux et ont des comptes twitter, Facebook, pour entretenir des conversations directes non seulement avec leurs propres populations mais aussi avec des pays alliés et parfois même avec les pays à relations hostiles. Je me dis qu’on devrait passer à la vitesse supérieure par rapport à notre diplomatie. Nous devons gérer et mener la diplomatie de notre temps.

Quelle est votre posture au sujet de l’opération Epervier ?

Je suis très peiné par l’opération Epervier dans son intégralité, parce que si tout ce qui est reproché à ces personnalités est exact, ça voudrait dire que notre pays a perdu un pourcentage important de son trésor public, que pendant un temps les affaires de la République étaient gérés au plus haut niveau par des personnalités qui n’étaient pas intègres. Pour cela, en tant que citoyen je suis très peiné parce que je me demande comment on est arrivé là ? Quand on sait comment ces ressources auraient pu être utilisées dans les coins les plus retirés, les villages où les populations ont besoin des écoles, des routes, des centres hospitaliers, combien de bourses on aurait pu donner aux étudiants des universités nationales pour aller faire des études de spécialisation. En même temps, je reconnais qu’il ya beaucoup de controverses autour de l’opération Epervier. Il ya des compatriotes qui pensent que beaucoup d’innocents en sont victimes parce qu’ils ont manifesté des ambitions politiques. Si cela est vrai, c’est un désastre parce que quelque part je me pose la question de savoir si nous en tant que pays, on n’est pas en train d’appliquer l’injustice à des personnes innocentes. Vous savez je suis de culture anglo-saxonne au départ et lorsque je faisais le droit à l’université de Yaoundé, on disait, et c’est un principe de droit anglais ou Common Law que c’est mieux d’avoir 99 inculpés libres que d’avoir un innocent en prison. C’est pour dire que si les reproches faits à nos concitoyens sont inexacts ça voudrait dire que notre système pénitencier, judiciaire et notre pays est en train de garder des innocents en prison. Et, cela m’ôte le sommeil. En même temps certains disent que les véritables détourneurs, fonctionnaires avec des salaires connus, des salaires qu’ils ne peuvent justifier sont en liberté. Notre Constitution prévoit la déclaration des biens. Jusqu’à présent cet article de notre Constitution demeure inappliqué. Donc de tout cet amalgame, quelqu’un qui est juriste de formation ayant le souci de l’humanitaire, qui s’intéresse à la gestion de la chose publique ne peut qu’être troublé. Il faudrait mettre des institutions de répression véritable, en même temps que nous cherchons à avoir une société saine où le service public a tout son sens, où les gens entrent dans l’administration pour servir et non pour se servir, où les gens viennent déclarer leurs biens sans attendre qu’on vienne leur poser la question, à cause de leur sens de l’équité.

Parlons à présent du cas des journalistes Félix Ebolé Bola, Rodrigue Tongué et Baba Wame qui ont été auditionné le 28 octobre dernier au Tribunal militaire. On leur reproche d’avoir retenu des informations qu’ils auraient dû mettre à la disposition des services de renseignement. Qu’en pensez-vous ?

C’est affreux ! Je ne comprends pas le délit de retenue dans ce sens que si on devrait poursuivre les êtres humains pour ce qu’ils retiennent, on serait en train de faire des investigations sur tout le monde. La retenue est une bonne chose. Le choix de ne pas publier une information susceptible de porter atteinte à la sûreté nationale par un journaliste mérite des encouragements. Dans d’autres pays, ces journalistes seraient décorés parce qu’ils ont le sens civique à pouvoir gérer l’information avec discernement. Chacun doit faire son travail sans jamais aller au-delà des exigences professionnelles. C’est à nos services de sécurité de rechercher le renseignement, de collecter les informations qui leur permettront d’être efficaces. Ce n’est pas au moment où nous faisons face à un ennemi comme Boko Haram que nous devons tisser des foyers de tension à l’intérieur du pays. Je pense que ces journalistes ont fait un jugement correct et déontologique. J’espère que dans les jours qui viennent, et avant que d’autres organisations qui militent pour les droits de l’Homme ne prennent les devants, ce qui risque de ternir davantage l’image de notre pays, ces concitoyens respectés vont retrouver leur liberté totale afin de vaquer à leurs occupations professionnelles comme d’habitude.

Quel bilan faites-vous de notre économie actuelle par rapport à 1982 ?

Je crois que la comparaison que les Camerounais de ma génération pourraient faire est complexe, nous avons connu un boom économique qui se traduisait par des investissements réels en infrastructures. A ce jour, il est un peu plus difficile de pointer du doigt ces réalisations qui captent l’impact de développement économique qu’on voudrait vendre aux populations camerounaises. Je constate que la plupart des entreprises nationales qui existaient en début des années 90 n’existent plus. Si ces entreprises ont été privatisées parce que c’était la mode, cette privatisation n’a pas fructifié le secteur privé camerounais. Aujourd’hui, celles qui les ont remplacés fonctionnent mal. On ne voit pas les entrepreneurs camerounais prendre la relève. Nous avons essayé de diversifié le partenariat économique de notre pays ce qui est une bonne chose, sauf que cela n’a pas d’effet concret sur le développement économique de notre pays. Un partenariat de construction de certaines infrastructures est bien mais il doit avoir un impact positif sur le chômage. La plupart de nos jeunes sont au chômage. Ce qu’on attend des entreprises étrangères c’est la création des emplois, celles qui arrivent avec leurs propres employés à tous les niveaux ne nous rendent pas service. Il n ya pas de partenariat véritable pour le transfert de technologies afin de rendre nos entreprises compétitives face aux multinationales. Nous Je suis très peiné par l’opération Epervier dans son intégralité, parce que si tout ce qui est reproché à ces personnalités est exact, ça voudrait dire que notre pays a perdu un pourcentage important de son trésor public, que pendant un temps les affaires de la République étaient gérés au plus haut niveau par des personnalités qui n’étaient pas intègres." devons réfléchir à la multiplication des partenariats. On n’est plus à l’époque de la nationalisation des entreprises, cela effraye les investisseurs, nous devons créer des conditions pour booster les efforts du secteur privé camerounais. Nous avons suffisamment de matières premières. C’est à nous de valoriser ces matières et ce potentiel sur l’espace géographique de l’Afrique centrale et même de l’Afrique de l’Ouest.

La question sur la binationalité a conduit aujourd’hui Richard Bona à décider de ne plus mettre les pieds au Cameroun. Est-ce que la loi sur la double nationalité est un barrage ou une mesure cruciale pour le développement d’un pays ?

Voila un ambassadeur du Cameroun. Richard Bona joue à la Maison blanche. Quand le président américain reçoit un président d’un autre pays et qu’on veut un artiste pour jouer, c’est à Richard Bona qu’on fait appel. C’est une fierté des Camerounais. C’est un privilège pour moi lorsqu’on sait que c’est mon frère et pour cela je suis énormément respecté. Les ambassades ne sont pas nécessaires partout parce que voilà quelqu’un qui représente le Cameroun. Il faut savoir valoriser ce que l’on a. Qu’est ce qui nous arrive c’est la folie ou quoi ?

Comment pouvons-nous faire ça à des gens qui haussent sans cesse le respect que l’on a pour nous les Camerounais ? On fait valoir des notions dépassées. On parle de l’Etat d’Israël, qui est un petit Etat entouré d’Etats qui lui sont hostiles. C’est un pays qui vit parce que sa diaspora est forte et pèse. Aucune puissance dans le monde ne peut prendre une décision contre Israël sans chercher à savoir ce que pense sa diaspora ? C’est une réalité, ces gens sont attachés à leur pays. On a les nôtres, mais on passe le temps à créer des barrières qui n’ont pas de sens. On frustre les gens qui veulent apporter une contribution. On traite à la légère une question qui touche à l’essence même de la vie humaine de quelqu’un. Regardez quelqu’un en face et lui dire que vous ne pouvez pas mettre les pieds dans le pays de vos ancêtres, vous ne pourrez pas vous recueillir sur la tombe de votre grandpère parce que moi le fonctionnaire que je suis aujourd’hui assis sur un papier qui dit que vous n’êtes pas Camerounais. C’est très grave. Nous savons qu’il ya des pays qui ont connu des massacres sur cette question. La Côte d’Ivoire a connu une crise de près de 10 ans à cause de cette histoire. Nous avons parlé de la Côte d’Ivoire lors de cette crise plus que les Ivoiriens euxmêmes. Les Camerounais en parlent toujours car il ya eu d’énormes pertes en vies humaines. Le génocide au Rwanda a ses racines dans cette question, parce que des Rwandais partis en Ouganda ont fondé des familles là-bas. Lorsqu’ils décident de rentrer chez eux, on leur dit que ce n’est plus chez eux. Le passage en force était inévitable. Donc je souhaite que cette question ne soit pas traitée à la légère. Je souhaite qu’on normalise cette situation pour qu’on soit en règle avec le monde et pour que le Cameroun fructifie ce que représente sa diaspora. J’aimerai lancer un appel patriotique à Richard Bona pour qu’il revienne sur ses propos ainsi qu’à tous les compatriotes tentés par cette réflexion.

Mutations- Numero 3770- Lundi 10 novembre 2014

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