Christopher Fomunyoh
Le 17 Décembre, 2010

Monsieur Afrique du National Democratic Institute de Washington, formé au côté de Barack Obama, ce Camerounais promeut la démocratie sur le continent.

«J’ai grandi à Guzang-Batibo, dans le Cameroun anglophone, au milieu des plantations de café. Mes parents y possédaient une exploitation modeste. À la fin des années 1960, mon père a été obligé de chercher du travail dans une plantation du Moungo, du côté francophone du pays. À l’époque, c’était tout un périple. Il allait aussi au Nigeria à pied pour faire un peu de commerce. C’était long, fatigant, mais cela permettait de faire vivre la famille. Cela m’a marqué. J’ai compris que dans la vie il faut savoir sortir de son cadre.»

Enfant issu d’une famille polygame, élevé par des missionnaires catholiques puis des presbytériens, étudiant à Yaoundé puis à Harvard, Christopher Fomunyoh est un habitué des «changements de cadre». Le Monsieur Afrique du National Democratic Institute (NDI) de Washington, un think-tank démocrate, passe d’ailleurs une bonne partie de sa vie dans les avions entre les États-Unis, où il réside, et les capitales africaines. À l’entendre jongler entre l’anglais et le français, on a parfois l’impression de changer de pays avec lui. Ou de voir plusieurs nations réunies en un seul homme, c’est selon. «Vous savez, quand je suis né, le Cameroun était divisé en deux. Mais j’ai compris très tôt que les Camerounais appartenaient tous au même pays: moi qui suis né au Cameroun britannique, ma scolarité a été payée grâce aux plantations du Cameroun français. Ça crée des liens. Quand je suis arrivé à l’université de Yaoundé, en 1975, j’étais le plus francophile des anglophones de ma promotion.»

1975. Cette année-là, Fomunyoh quitte sa région d’origine. Aîné d’un « bataillon » familial de treize enfants, il se fait meneur d’un autre type dans les rangs de l’université. « C’était déjà un leader, se souvient Cyprian Fisiy, directeur du département de développement social de la Banque mondiale et ancien camarade de faculté. Non seulement dans le milieu associatif, où il rassemblait les jeunes de toutes origines autour de questions de gouvernance, mais aussi dans les stades de foot! Lorsque le PWD Bamenda s’est qualifié pour la première fois contre le Dynamo Douala, en finale de la Coupe du Cameroun, c’est lui qui a organisé le transport des fans en bus et l’accueil à Yaoundé! »

Dans cette ville, Chris étudie le droit. Une fois sa licence en poche, il passe un concours et entre à Cameroon Airlines, où il est chargé de créer un service « juridique et contentieux ». Un poste qui lui permet de côtoyer les grands avocats du pays. « Je ne sais pas si j’aurais pu percer si j’étais né une génération plus tard. Il y a tellement plus de concurrence aujourd’hui, mais aussi de corruption et de passe-droits… Pas sûr que j’aurais pu réussir! »

Christopher a le succès modeste. Ce n’est pas une simple affaire de timing si, déjà premier de sa classe sur les bancs du primaire, il est aussi le premier de son pays à être admis en troisième cycle au sein de la prestigieuse faculté de droit de l’université Harvard, en 1988. Cette année-là, il s’envole pour les États-Unis. « Je ne pouvais pas laisser filer cette opportunité. Et il était important de faire passer le message qu’un Camerounais lambda pouvait partir de l’université de Yaoundé et arriver à Harvard. Beaucoup d’autres ont pris ce chemin après moi. » Au cœur de la vieille université, « restée dans son jus avec ses anciens bâtiments et son histoire, alors [qu’il imaginait] de grands buildings clinquants », il entame un doctorat en droit, au côté de Barack Obama. « On se voyait régulièrement, avec d’autres étudiants d’origine africaine, dans le cadre de rencontres organisées par la Black Law Students Association (“Association des étudiants noirs en droit”). Déjà, on sentait en lui un leader, un meneur d’hommes, mais nous n’avions pas imaginé que son ascension serait aussi fulgurante. »

Un développement fulgurant, c’est ce que le docteur Fomunyoh prévoyait pour son continent. Au début des années 1990, à Harvard puis à Boston, où il passe un doctorat en sciences politiques, il vit une période d’effervescence. « Le mur de Berlin venait de tomber, on assistait à la fin de la guerre froide et de l’apartheid. C’est aussi le moment où l’on a beaucoup parlé de la transition en Afrique. J’ai décidé que je voulais y participer. C’est dans ce cadre que je suis entré au NDI [National Democratic Institute, NDLR] en 1992 comme volontaire. »

Dans cet institut qui vise à renforcer la démocratie, il mène notamment des missions d’observation des élections, en lien avec les partis, les organes législatifs et la société civile. Aujourd’hui, il en est le directeur régional pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Il a aussi créé la Fondation Fomunyoh (TFF), qui vise à promouvoir les droits de l’homme et à renforcer les institutions de son pays.

À son entrée au NDI – aujourd’hui présidé par Madeleine Albright – il pensait que son passage y serait de courte durée. « Nous imaginions qu’en deux ou trois ans la démocratie serait installée en Afrique. Aujourd’hui, plus le temps passe et plus je réalise que c’est compliqué. »

À son entrée au NDI – aujourd’hui présidé par Madeleine Albright – il pensait que son passage y serait de courte durée. « Nous imaginions qu’en deux ou trois ans la démocratie serait installée en Afrique. Aujourd’hui, plus le temps passe et plus je réalise que c’est compliqué. »

Qu’on ne vienne pas lui asséner pour autant que la démocratie n’est pas possible en Afrique. « C’est faux. D’ailleurs, ce système y existe traditionnellement, sous d’autres formes. Mon grand-père était sous-chef de village. Son mandat consistait à gérer le bien commun, à entendre les différentes parties dans les litiges, à rendre justice... C’était une certaine forme de démocratie. » Si, érigée en système politique, la démocratie est souvent malmenée dans certains pays c’est, selon Fomunyoh, en raison d’erreurs de casting. « Nous avons sous-estimé l’impact du parti unique et du règne militaire dans les mentalités, estime-t-il. Nous avons pensé que, parce que certains acteurs avaient changé d’uniforme ils seraient démocrates. Nous avons essayé de construire la démocratie avec des gens qui n’étaient pas convaincus. Les bases n’étaient pas saines et la volonté politique a fait défaut. »

Qu’on ne vienne pas lui asséner pour autant que la démocratie n’est pas possible en Afrique. « C’est faux. D’ailleurs, ce système y existe traditionnellement, sous d’autres formes. Mon grand-père était sous-chef de village. Son mandat consistait à gérer le bien commun, à entendre les différentes parties dans les litiges, à rendre justice… C’était une certaine forme de démocratie. » Si, érigée en système politique, la démocratie est souvent malmenée dans certains pays c’est, selon Fomunyoh, en raison d’erreurs de casting. « Nous avons sous-estimé l’impact du parti unique et du règne militaire dans les mentalités, estime-t-il. Nous avons pensé que, parce que certains acteurs avaient changé d’uniforme ils seraient démocrates. Nous avons essayé de construire la démocratie avec des gens qui n’étaient pas convaincus. Les bases n’étaient pas saines et la volonté politique a fait défaut. »

Pour ériger son pays en exemple de gouvernance démocratique, Christopher Fomunyoh estimerait-il avoir trouvé l’homme de la situation: lui-même? C’est en tout cas le bruit qui court dans certains médias, qui le voient candidat potentiel pour la présidentielle de 2011. Quand on lui pose la question, le docteur Fomunyoh esquive. Avec cette élégance et ce sourire qui semblent ne jamais le quitter.

© Jeune Afrique