Conseil du Dr Fomunyoh du NDI aux partis burkinabé : "Evitez un jeu politique malsain!"
Hervé D'AFRICK
Janvier 24, 2005

En prelude aux prochaines electorales elections, le directeur Afrique du NDI, Christopher Fomunyoh , fait le diagnostic des enjeux actuels et futurs. "Le NDI entend dans ce cadre, entamer des operations de sensibilisation afin que les Burkinabe soient pleinement impregnes des dispositions du Code electoral.Il faut eviter qu'un jeu politique malsain sous-tende l'application du calendrier electoral." Ouagadougou - Burkina-Faso

LE NDI AUX PARTIS BURKINABE

"Evitez un jeu politique malsain ! "
Les partis politiques affutent deja leurs armes pour les prochaines elections municipales et presidentielle. En prelude a ces joutes electorales, le directeur Afrique de l'Institut national democratique pour les affaires internationales (NDI), Christopher Fomunyoh, fait le diagnostic des enjeux actuels et futurs. Les espoirs et les couacs du processus democratique, la participation electorale des femmes, les defis lies au dialogue politique et bien d'autres sujets sont ici passes au crible.

"Le Pays" : Comment appreciez-vous le processus democratique burkinabe ?

Dr Christopher Fomunyoh: Durant les quinze dernieres annees, il y a eu des moments de difficultes. Le manque de consensus politique a conduit a des boycotts lors de certaines consultations electorales. Cependant, j'ai constate que l'espace politique s'est elargi et que le debat est de plus en plus civilise. Cela augure de processus electoraux plus transparents et credibles, comme aux legislatives de 2002. Nous souhaitons voir cet episode se reproduire aux elections municipales et presidentielle de 2005.

La rupture de confiance due a la revision du Code electoral pourrait cependant entraver cette dynamique... Etant donne que le Code elctoral a deja ete revise par le Parlement, il convient desormais de le porter a la connaissance des citoyens. Il faut que les populations en soient bien informees. Il faut aussi voir avec les partis politiques comment appliquer ce Code, tout en permettant aux citoyens de choisir les candidats de leur preference. Le NDI entend dans ce cadre, entamer bientot des operations de sensibilisation afin que les Burkinabe soient pleinement impregnes des dispositions du Code electoral.

L'acte 1 de votre programme au Burkina vient de s'acheter. Quels sont les grands chantiers politiques realises par le NDI ?

Nous venons d'achever en effet les six premiers mois de notre programme. Nous avons ete tres bien accueillis par la classe politique, notamment l'opposition et la mouvance presidentielle. Il y a eu ainsi un grand engouement lors des seminaires de formation et des autres forums de discussion, tant a Ouagadougou que dans les autres provinces. La participation des partis politiques et de la societe civile a ete tres active et cela nous rejouit. Fort de cela, nous avons obtenu du bailleur de fonds de ce projet, l'ambassade des Etats Unis, un prolongement de six mois, de nos activites. Il y a egalement des efforts en cours pour que le NDI puisse maintenir sa presence au Burkina et elargir le champ de ses interventions.

Quels sont, selon vous, les couacs qui entravent le processus democratique au Burkina ?

Je recommande un traitement plus equilibre et transparent des informations electorales. Lors de mes concertations avec les partis politiques, ces derniers ont evoque des incertitudes concernant le calendrier electoral. J'aurais souhaite que ces informations soient portees sur la place publique afin que tout le monde se prepare en consequence. Il faut eviter qu'un jeu politique malsain sous-tende l'application du calendrier electoral. Il serait aussi souhaitable qu'il y ait plus de concertation entre les partis politiques et la Commission electorale nationale independante. Pour que les attentes des partis puissent etre communiquees directement a la CENI afin que toutes les apprehensions puissent etre corrigees avant le jour du scrutin. Il faut eviter a tout prix les derapages.

L'opposition burkinabe vous inspire-t-elle confiance ?

Avant de nous installer au Burkina, nous avions des apprehensions quant au nombre tres eleve de partis politiques. Cela rendait difficile notre tache. Mais depuis que nous travaillons avec ces partis, nous sommes heureux de constater qu'ils ont forme quatre regroupements contenant toutes les tendances politiques. Le travail est devenu plus facile du fait de la communication qui y regne. Je souhaite que ces regroupement soient maintenus et que les partis politiques y instaurent une democratie reelle, donc qui associe les differentes composantes a la prise de decision. Il faut aussi que les partis d'opposition oeuvrent a donner au peuple burkinabe, des options, des alternatives afin de faciliter leurs choix lors des scrutins.

La mouvance presidentielle joue-t-elle pleinement son role ?

La democratisation a beaucoup evoluee en Afrique. Nous ne sommes plus a la periode ou l'on gagnait des elections a 99,99%. Le jeu democratique est devenu plus ouvert. Il convient desormais de permettre aux institutions de fonctionner de maniere transparente et credible pour que les resultats des elections soient acceptes par les citoyens. Je souhaite donc que la mouvance presidentielle laisse les institutions chargees de l'organisation des des elections, telle la CENI, faire leur travail en toute liberte et en toute independance. Elle devrait aussi oeuvrer a mettre a la disposition de la commission electorale, les ressources necessaires tel que prevu par la loi. Il importe de le faire a temps pour que la CENI ne cumule pas des retards dans l'organisation des elections. Si tout le monde prend ses responsabilites en bon democrate, le Burkina en sortira gagnant.

Le NDI a installe recemment, un comite technique de suivi de son programme au Burkina. Qu'attendez-vous concretement de ce comite ?

Le NDI met beaucoup l'accent sur le partenariat. Nous ne venons donc pas en donneur de lecons mais plutot pour soutenir les democrates, toutes tendances confondues dans la demarche qu'ils auraient retenue pour ancrer la democratie dans la societe burkinabe. Il etait donc important de mettre en place un comite technique de suivi, constitue des membres des quatre grands regroupements politiques. Ce comite doit suivre, au jour le jour, l'execution du programme du NDI. Il devrait aussi servir de couloir de transmission entre les partis politiques et le NDI dans la conception et l'execution de nos projets afin qu'ils soient adaptes aux realites locales, de maniere a pouvoir repondre correctement aux besoins des partis politiques. La mise en place du comite a ete bien apprecie par l'ensemble de la classe politique.

Comment aimeriez-vous voir le Burkina aux termes des prochaines elections municipales et presidentielle ?

Les elections municipales sont des scrutins de proximite ; elles permettent donc aux citoyens d'elire des candidats dont l'action aura un impact direct sur leur vie quotidienne. Ces elections devraient renforcer la mise en place des institutions decentralisees. J'espere donc qu'elles donneront satisfaction aux citoyens du Burkina. J'espere aussi que ces elections feront emerger une representation du "pays des hommes integres" dans sa diversite. Il faut que chaque citoyen ait une opportunite de participer a la gestion des affaires publiques. Dans cette optique, il importe que des dispositions soient prises pour que ces consultations se passent dans la paix, la transparence et soient credibles.

Les femmes constituent pres de 52% de la population burkinabe mais elles sont souvent traitees comme un "betail electoral". Que compte faire le NDI pour leur rendre justice ?

Nous deplorons le fait que les femmes ne soient pas suffisamment representees dans les hautes instances des partis politiques ou de la gestion des affaires nationales Le NDI est en train d'oeuvrer pour qu'elles soient des organisatrices a la base mais aussi au niveau des spheres dirigeantes. Elles pourraient, de ce fait, etre des maires, des deputes et meme presenter des candidatures a la prochaine election presidentielle. Nous sommes d'ailleurs en train d'etudier la question avec les partis politiques afin que les femmes puissent emerger lors des prochaines consultations electorales.

Vous observez aussi de pres le fonctionnement de la democratie americaine. Quelles lecons le Burkina peut-il, selon vous, en tirer ?

Il serait maladroit de vouloir copier point par point le modele americain car les contextes et les realites sont differents d'un pays a un autre. Il y a cependant des principes universels de la democratie dont chaque citoyen devrait jouir quel que soit l'endroit ou il se trouve. La liberte d'_expression, d'association, l'importance attachee a la decentralisation sont de mise aux Etats-Unis. Des efforts sont en cours pour que cela soit reellement effectif au Burkina Faso. Comme l'avait si bien dit le president John Kennedy, "la democratie n'est jamais un art acheve". Il faut toujours la perfectionner. Chaque generation doit donc jouer sa partition.

Comme la plupart des pays africains, la Cote d'Ivoire est confrontee a ce defi. Quelles recettes pourriez-vous lui donner pour une sortie de crise ?

En tant qu'Africain, ca me fait tres mal de voir la Cote d'Ivoire dans cette situation de crise. Mais en realite, cela ne me surprend pas. Le NDI etait en effet en Cote d'Ivoire; nous avons tout fait pour attirer l'attention de l'opinion sur le fait que le processus democratique etait en train de deraper. Il y avait deja des germes de division, d'exclusion lors de la transition de 1993. Aujourd'hui, notre souhait est de trouver des ressources susceptibles de nous permettre de rouvrir notre antenne en Cote d'Ivoire. Nous constatons, comme beaucoup d'observateurs avertis, que ce pays a besoin du concours des organisations tels que le NDI, qui sont neutres, et a meme de jouer un role de facilitateur pour permettre aux acteurs politiques de dialoguer. Ils pourront de ce fait travailler pour l'interet superieur de l'Etat, permettant ainsi aux citoyens ivoiriens de vivre en paix et dans une societe democratique.

La Cote d'Ivoire vient d'etre exclue de la liste des beneficiaires du programme AGOA. Le Burkina, lui, fait partie des heureux elus. Quels sont les avantages et les contraintes d'un tel programme ?

Les pays beneficiaires ont la possibilite d'avoir acces au marche americain. Ce qui favorisera des exportations sans tarifs a partir des pays elus. Cela peut aussi susciter l'arrivee au Burkina d'investisseurs prives d'autres pays. Evidemment, une telle politique contribuera a creer des emplois. Les exigences portent essentiellement sur la bonne gouvernance, la transparence dans la gestion des affaires publiques, la lutte contre la corruption, etc. Le fait que le Burkina soit retenu pour l'AGOA est donc significatif. D'autres avantages pourraient se greffer a cela si le pays maintient ses efforts de reformes economiques et politiques en cours.

Quel appel ultime avez-vous a lancer aux Burkinabe des villes et des campagnes ?

Autant le pays prend de l'importance, autant les attentes vont grandissant, non seulement de la part des populations burkinabe, mais aussi de la part des partenaires exterieurs du Burkina. Ce n'est pas le moment de baisser les bras ou de commettre des betises. Il faut plutot se montrer a la hauteur des attentes qui pesent sur le Burkina, specifiquement sur les acteurs politiques. J'espere que les prochaines elections qui sont un test crucial pour le Burkina, se derouleront dans les meilleurs conditions possibles. Il faut qu'au terme de l'annee 2005, nous puissions tous celebrer la consolidation de la democratie dans ce pays des hommes et des femmes integres.

ENCADRE

Composition du comite de suivi
1- ADF/RDA & Allies
Me Fayiri Somda
M. Belem Sidiki
2- Mouvance Presidentielle
M. Vincent Dabilgou
Mme Yerbanga Eulalie
3- Opposition Burkinabe Unie
M. Jean Baptiste Zoungrana
M. Victor Bado
4- Alternance 2005
Dr Fidele Hien
Mme Bambara Claire

Propos recueillis par Herve D'AFRICK
© Quotidien Burkinabe Le pays N°3296 du 18/01/2005