Christopher Fomunyoh: Le débat sur la transition démocratique
ICICEMAC
Octobre 06, 2010

Le directeur de Ndi Afrique parle de l’élection présidentielle de 2011 et dresse le bilan des 20 dernières années de démocratie au Cameroun.  Je crois que si chacun de nous aborde la question de l’avenir du Cameroun dans cet état d’esprit, à ce moment, on irait loin en très peu de temps.

Vous êtes au Cameroun depuis quelques jours et vous comptez y séjourner un moment, est-ce le début d’un retour définitif ?

Je crois qu’un retour définitif est envisageable, surtout à l’heure où le Cameroun se trouve au carrefour des grandes mutations dans un proche avenir.

Il est important pour tout Camerounais de trouver le moyen d’être disponible, de pouvoir accéder à ses compatriotes pour pouvoir apporter sa contribution et ses expériences au développement de notre pays. Mon souhait est donc d’être plus disponible que par le passé.

Il s’agit donc d’un retour définitif…
Oui, mais ça va se faire progressivement dans les semaines et mois qui viennent. Vous savez, je suis de la promotion 1970 de l’ancienne Université de Yaoundé et nombreux de mes camarades sont très actifs dans la vie du pays. De plus en plus de voix s’élèvent tant du côté de mes amis que des proches de la famille pour me rappeler que je fais trop de choses pour d’autres pays et pourquoi ne pas également apporter ma contribution à la construction de notre société.

Quels sont vos rapports avec les leaders de l’opposition, la société civile et le pouvoir ?
Je suis de nature très ouvert. Pour moi, il n’y a pas de préjugés, c’est l’intérêt national qui compte. J’ai eu, par le passé et même en ce moment l’occasion de côtoyer beaucoup de leaders et de personnalité politique de l’opposition. Je suis ouvert à tous ceux qui se battent et qui œuvrent pour un Cameroun meilleur. Naturellement, je respecte les idées de chacun et je ne manque pas de partager mes idées avec tout le monde, quelque soit sa tendance.
De temps en temps, il m’arrive de critiquer ce qui se passe dans la gestion du pouvoir par le régime en place. Je le fais de manière pédagogique. Mon intention n’est pas de critiquer pour critiquer, j’essaie d’aider à l’amélioration des conditions de vie des populations et au développement de notre pays.  Avec la société civile, j’entretiens de bonnes relations avec certains de ses acteurs. Je compte d’ailleurs continuer à les appuyer dans le cadre du renforcement de leurs capacités.

Ne pensez-vous pas justement que les critiques émises par le passé à l’endroit des acteurs politiques tant de l’opposition que du pouvoir peuvent constituer un obstacle à votre main tendue?
Il y a deux façons de critiquer la politique du gouvernement du Cameroun. Il y a des critiques qui considèrent que tout est mauvais et il y en a qui sont faites de suggestions pour améliorer. Je vous prends un exemple : il y a 10–15 ans, je parlais avec d’autres personnes du phénomène de la corruption dans notre pays. J’ai fait un certain nombre de propositions pour lutter contre ce mal et aujourd’hui même le chef de l’Etat en a fait une priorité. Si on avait suivi mes conseils, je crois que la situation serait différente. De même, pour ce qui est de l’Observatoire national des élections (Onel), j’ai dit, au moment de sa création, qu’il ne pouvait pas avoir d’impact sur l’organisation des élections libres et transparentes dans notre pays ; la suite me donne aujourd’hui raison avec la mise sur pied d’Elecam.  Je suis renforcé dans ma position, chaque fois que je critique, je suis à même de proposer des solutions pour améliorer la situation.

Au sujet d’Elecam, l’institution vient de lancer la préparation de l’élection présidentielle de 2011. Vous êtes de ceux qui ont émis des critiques contre cette institution. Que reprochez-vous à Elecam ?
J’envisage, dans les prochains jours, de demander des séances de travail avec les responsables d’Elecam. Ce sera d’abord avec les responsables de la direction générale des élections, et ensuite avec les membres du conseil électoral. Ce sera la première fois que je serai en contact direct avec cette institution. Ça va me donner l’occasion d’écouter, de comprendre et d’apprendre à la source. J’imagine certainement que je serai édifié sur les conditions qu’ils entendent mettre en place pour garantir des élections libres et transparentes dans notre pays. J’entends également être fixé sur mon appréhension à la capacité d’Elecam à répondre aux attentes des Camerounais. C’est vrai que j’avais affirmé que la manière avec laquelle l’institution avait été mise sur pied et comment ses membres avaient été nommés ne donnaient pas des garanties suffisantes pour la transparence dans le processus électoral.

20 ans après l’introduction du multipartisme au Cameroun, quel regard portez-vous sur le processus démocratique au Cameroun?
20 ans après le retour du multipartisme, il est propice de marquer un temps d’arrêt pour dresser un bilan et envisager notre avenir. Je pense que le débat sur la transition démocratique en 1990 a été faussé et nous continuons de payer les frais d’une mauvaise mise en place des institutions démocratiques. On peut se réjouir du fait que ces institutions existent aujourd’hui, qu’il y a une pluralité des médias et le multipartisme, entre autres. Mais ces institutions n’ont pas été façonnées de manière à favoriser la démocratie dans notre pays. Aujourd’hui, une alternance par les urnes apparaît comme impossible. D’après mon expérience, et tous ceux qui observent l’évolution de la démocratie à travers le monde peuvent en témoigner, chaque fois que les populations en sont arrivées à ne plus croire aux urnes, cela a posé des problèmes très graves. On connait le cas de l’ancien Zaïre aujourd’hui République démocratique du Congo et plus récemment encore, le cas de la Guinée Conakry. Les populations ne croyaient plus à une alternance au pouvoir par les urnes et on a vu tout le désordre que cela a entraîné par la suite. Ce serait dramatique que notre pays en arrive là. Il faut remobiliser les Camerounais pour leur redonner confiance afin qu’ils puissent participer au processus démocratique.

Quel peut être, à ce niveau, l’apport de la diaspora?
J’ai la chance d’avoir une organisation, notamment la Fondation Fomunyuh , dont le siège est dans la région du Nord-Ouest, et qui me permet d’être en contact avec les réalités locales, d’apporter au quotidien ma contribution au développement des Camerounais et de contribuer au renforcement des capacités de la société civile. Chaque fois que je rencontre les Camerounais de la diaspora, je leur recommande de ne pas hésiter à partager leurs expériences et leurs expertises avec ceux de l’intérieur. Je crois que c’est l’une des premières choses à faire. Cela permet non seulement à ceux de l’intérieur de profiter de l’expérience de leurs frères, mais également à ceux de la diaspora de se mettre à jour par rapport aux réalités locales.

Pour rester sur la diaspora, vous avez participé en juillet dernier au forum Cameroon diaspora for change (Camdiac), mais on ne vous a pas beaucoup entendu parler de cette rencontre dans la presse…
Il faut situer cette conférence dans un contexte. Avant il y a eu d’autres conférences organisées par d’autres Camerounais, toujours sur l’avenir du Cameroun, et après il y a eu encore d’autres conférences. Il faut saluer ces initiatives de Camerounais qui prennent du temps pour réfléchir sur l’avenir du pays.
J’ai été invité à ce forum et j’ai effectivement pris la parole pour partager ma réflexion. J’ai soutenu notamment qu’un changement pacifique était encore possible au Cameroun et qu’il ne fallait pas envisager d’autres formes d’alternance. Beaucoup d’autres leaders politiques locaux ont pris part à ces travaux et ont partagé avec nous leurs expériences du terrain. Nous en sommes arrivés à la finalité qu’aucun parti politique, aucune association ne peuvent tout seuls réussir une alternance au Cameroun. Il faut rassembler les Camerounais, les écouter, identifier leurs besoins et mettre sur pied une dynamique pour apporter des solutions à leurs préoccupations.

Est-ce que votre thèse est réalisable, surtout qu’on sait qu’à ce même forum, certains participants soutenaient que l’alternance pacifique n’est plus possible au Cameroun ?
C’est à travers les médias que j’ai appris qu’il y avait deux thèses qui s’affrontaient au cours de ce forum. La thèse de ceux qui croient à une alternance pacifique, qui était soutenue par moi, Bernard Muna, Adamou Ndam Njoya et Pius Njawé, de regrettée mémoire. De l’autre côté, il y avait la thèse de ceux qui croient qu’une alternance pacifique n’est plus envisageable. Je crois sincèrement que les populations aspirent à la paix. Elles veulent certainement être gouvernées autrement que comme ça se fait aujourd’hui, mais dans la paix.

Au cours de ce forum, le directeur de publication du quotidien Le Messager a trouvé la mort dans un accident de la circulation. Quels étaient vos rapports et que retenez-vous de lui ?
C’était un frère et un ami. Il était une grande source d’inspiration pour moi et tous ceux qui étaient à la recherche des espaces de liberté au Cameroun, en Afrique et dans le monde. Je n’arrive pas à réaliser le fait qu’il soit parti définitivement dans ces conditions, parce que fauché par un accident. Je me dis que comme le Bon Dieu a un plan pour chacun de nous, il aurait dit à Njawé que comme il a passé sa vie à se battre pour la démocratie, les droits de l’homme et de la presse, il va falloir qu’il passe ses dernières heures de la vie dans le pays le plus ouvert, le plus libre et le plus démocratique.

Quels commentaires vous suggèrent les rapports de l’International crisis group sur la situation politique du Cameroun ?
J’ai été marqué par ces deux rapports, parce que je connais bien cette organisation et ses dirigeants, qui sont assez crédibles. J’ai été marqué d’une part par l’intérêt qu’ils portent à notre gouvernement et à notre avenir. D’autre part, j’ai été également très marqué par les conclusions de ces rapports. Je ne les conteste pas, mais je pense que c’est un signal d’alarme pour nous et ça nous interpelle tous. Nous devons nous poser la question de savoir ce que chacun de nous doit faire pour que le Cameroun ne dérape pas.
Il est vrai que beaucoup de pays africains sont considérés comme fragiles et que l’International crisis group parle de l’éminence d’un avenir trouble. Les possibilités pour que cela arrive existent effectivement. Chacun de nous doit prendre des dispositions pour rectifier le tir. Nous devons exploiter ces rapports et tenir compte des recommandations afin que l’apocalypse annoncée ne survienne pas.

En quelques semaines, on a eu des rapports et des articles de l’International crisis group, du Forein policy magazine et du New York Times sur la situation politique du Cameroun. Qu’est-ce qui explique cet intérêt subit des Etats-Unis pour notre Cameroun ?
L’intérêt se justifie par l’estime que le monde extérieur a pour nous et nos potentialités. Quand ces potentialités ne sont pas réalisées, ça peut susciter l’étonnement, la déception et même des critiques sévères. Sans être chauvin, le monde extérieur s’attend à ce que le Cameroun soit un grand pays, un pays qui met à profit toutes ses potentialités économiques et humaines, qui joue un grand rôle sur l’échiquier régional. Notre performance n’étant pas à la hauteur de ces attentes, il faut s’attendre à ce type de critiques dans les mois à venir si on ne met pas en place des structures qui peuvent garantir plus de transparence et une meilleure gouvernance économique et politique.

On s’achemine vers une année cruciale au Cameroun qui verra notamment la tenue de l’élection présidentielle. Que doit-on faire pour améliorer les pratiques démocratiques afin de réaliser notre potentiel ?
La majorité des Camerounais aspire à ce que l’élection se déroule dans les meilleures conditions. Il faudra rassurer les démocrates. Il faut pour cela leur présenter un projet de société avec des alternatives qui rassurent les populations. Il est important de prendre en compte le bien-être des populations.
Des conversations que j’ai eues avec de nombreux compatriotes, j’en ai tiré la conviction que la majorité souhaite que la politique électorale se base sur des projets de société et des idées, et qu’on dépasse le cadre des querelles de personnes qu’on a observées ces 20 dernières années.

A titre personnel, quel rôle entendez-vous jouer dans ce travail ?
J’ai grandi dans une famille chrétienne et j’ai fréquenté une école de missionnaires. Ce que j’ai appris est qu’il faut rester très modeste en parlant de soi-même. J’ai pu réunir dans le cadre de mon travail beaucoup d’expériences et d’expertises que j’envisage de partager avec la société camerounaise toute entière. La contribution que je pourrais proposer c’est de mettre à la disposition de tout le monde mes expériences et mon expertise. Je sais aussi que cela dépend des bonnes volontés et de la disponibilité des autres acteurs. Je crois fermement qu’il s’agit d’un travail collectif où chaque acteur devra apporter sa contribution.

Si un parti politique vous demande, par exemple, d’être son porte-étendard à cette élection présidentielle …
Je suis très honoré par les appréciations qu’on porte sur ma personne. Mais ce qui est important pour moi, c’est d’apporter ma contribution au développement du Cameroun, une contribution qui puisse être appréciée et valorisée par mes compatriotes quelque soit le niveau de contribution. Dans le contexte actuel, ma préoccupation est focalisée sur le Cameroun et son avenir, sans déterminer à l’avance le rôle personnel que je pourrais être amené à jouer. J’ai dit plus haut qu’il faut éviter de personnaliser le débat politique au Cameroun. Je ne peux pas à la même occasion poser comme préalable à ma contribution le fait que je sois absolument candidat à la présidence. Je crois que si chacun de nous aborde la question de l’avenir du Cameroun dans cet état d’esprit, à ce moment, on irait loin en très peu de temps.

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